vendredi 11 novembre 2016

"Tu vois le jour, tu ne verras bientôt plus que la nuit"

Dans les deux œuvres, le regard a une fonction dramatique très importante, puisque c'est souvent sur lui que repose l'avancée de l'action. Sophocle et Pasolini multiplient les rappels des yeux, de la vue, ou de la lumière en émettant un rapport constant entre l’œil et la connaissance. On peut alors s’interroger sur la façon dont le dramaturge et le cinéaste jouent avec le motif du regard.



La vision est-elle source du savoir, ou nous rend-elle au contraire aveugles à la vérité ? C'est cette question que Sophocle et Pasolini placent tous les deux au cours de leur oeuvre. L'ensemble du texte de Sophocle et donc aussi les dialogues de Pasolini sont très marqués par le champ lexical de la vue et par extension, de la lumière. Le premier épisode illustre bien ce que j'avance car les personnages abordent directement la question du regard comme quand Œdipe accuse Tirésias d'avoir: "L’âme et les oreilles aussi fermées que les yeux" et le devin lui rétorque alors: "Tu vois le jour; tu ne verras bientôt plus que la nuit".Un lexique qui apparaît dans presque toute la pièce.

Le motif du regard reflète  également une importance tout particulière dans le film de Pasolini. Les yeux des personnages sont souvent mis en valeur, tout particulièrement ceux de Jocaste, qui semble régulièrement réduite à un regard intense, souvent muet. Le tout premier gros plan sur elle (00:50:41) nous montre une femme au regard perdu au milieu d'un visage sans sourcils où la bouche et les traits disparaissent sous un épais maquillage blanc, qui donne une impression de pâleur intense. De même les gros plans sur le regard d'Œdipe sont courants. Dans les deux œuvres, le regard occupe donc une place importante à tous les niveaux, y compris lexical et esthétique.



Si le regard est si mis en valeur par Sophocle et Pasolini, c'est qu'il joue un grand rôle dans l'intrigue. Ainsi, le témoignage visuel du serviteur qui a exposé Œdipe et vu tuer Laios se révèle d'une importance cruciale et mène directement au dénouement, de même que celui du berger. Plus généralement, le motif du personnage qui voit sans être vu est un élément récurrent des deux œuvres. Chez Sophocle par exemple, on va retrouver ce motif à la fin de la pièce: Suicide de Jocaste et auto-mutilation d Œdipe sont raconté par le Chœur qui y assiste sans être vu.

Notons également que dans ce film où le dialogue est souvent réduit, le regard est le seul moyen de communication et d'expression privilégié. Pour illustrer cela on peut à cet égard citer la scène du meurtre de Laios. Alors que chez Sophocle la colère d' Œdipe est déclenchée par le fait que le guide du roi cherche à l'écarter de force avant que Laios ne lui assène un coup de fouet, chez Pasolini, l'hostilité entre les deux hommes s'exprime de manière explicite dès le premier regard. Les deux hommes se défient du regard sous les yeux du serviteur.



Pour conclure, nous pouvons dire que le motif du regard est au cœur de l'intrigue d'Œdipe. Chez Sophocle tout comme chez Pasolini, la question du regard a non seulement une importance dramatique cruciale, mais également une dimension esthétique très importante au bon déroulement des deux œuvres.


Ruddy LIMA EVORA


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