jeudi 20 avril 2017

Lisez et présentez à la classe Les Faux Monnayeurs sous la forme d’une interview aux autres élèves !




Vous vous mettrez par trois ou quatre
Puis, vous préparerez une interview. Dans les questions que vous inventerez, il faudra que vous soyez amené à parler de l’histoire, des personnages et de vos sentiments sur le livre.
Vous présenterez l’auteur et vous choisirez ensemble votre passage préféré du livre.
Enfin, vous ferez votre interview à l’oral devant la classe (il faudra un journaliste littéraire et des critiques littéraires ayant des avis différents sur le roman)
Le journaliste littéraire : présentera l’auteur et résumera très rapidement le livre. Puis, il accueillera les critiques littéraires et leur posera des questions sur le livre.
Les critiques littéraires (prenant part à une table ronde) : ils répondront aux questions du journaliste, présenteront un passage préféré et expliqueront les raisons de ce choix.
Toutes les personnes présentes sur le plateau télévisé devront expliquer leurs choix, et entamer un débat sur l’esthétique du roman, et un avis divergent sur le roman. Une dimension critique devra se dégager de ce débat.
Vous serez évalués sur la mise en scène, la capacité à vous détacher de vos notes et à soulever des questions ou des points qui font débat. Il vous faudra bien vous partager le temps et veiller aux qualités de la présentation orale.

profusion des personnages

La grande particularité des Faux-Monnayeurs provient de l’originalité avec laquelle Gide battit son roman. Il fait en effet rentrer son lecteur dans un monde animé par de multiples personnages, et crée une ambigüité. Il est alors intéressant de se demander qu’apporte la profusion des personnages au sein de l’œuvre ?
Tout d’abord nous verrons que cette profusion de personnage fait toute l’originalité du roman, ensuite nous analyserons le fait que la profusion des personnages permet l’avancer de l’intrigue du roman.   

Dans un premier temps la profusion de personnage permet d’apporter une grande originalité au roman de Gide. En effet, il va délibérément composer son roman de façon désordonné. Le lecteur va se retrouver face à de nombreux retour en arrière (analepses) ou et projection en avant (prolepse). Cette variation étant justement due à la variation extrêmement riche des points de vue. La multitude de personnage permet donc d’avoir un roman ambigu dans lequel on a du mal à se repérer temporellement.  Au sein des Faux-Monnayeurs Gide a voulu faire coexister plusieurs romans au sein de son roman, il dit justement dans le Journal des Faux-Monnayeurs : « Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés (et plusieurs fois sous des angles divers) par ceux des acteurs sur qui ces événements auront eu quelque influence. » le lecteur accède donc à l’histoire par le biais de diverses visions qui lui permette de forger son opinion sur chaque personnage non pas par la voix d’un seul et même narrateur qui influencerai sa vision de l’histoire. Gide va effectivement refuser les facilités du narrateur omniscient, il cherche à faire rentrer le lecteur dans l’histoire à l’investir, et ceci est possible de par les nombreuses informations réceptionnées par le lecteur qui se doit d’analyser pour comprendre. Il va d’ailleurs exprimer dans son journal cette volonté de faire participer le lecteur à la vie du roman : « Je voudrais que, dans le récit qu’ils en feront, ces évènements apparaissent légèrement déformés ; une sorte d’intérêt vient pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait à rétablir. L’histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner. » De plus il va volontairement choisir d’interrompre l’histoire, le narrateur n’est plus un simple conteur de l’histoire, il est totalement actif et donne son avis sur les actions des personnages : « J’aurais était curieux de savoir ce qu’Antoine a pu raconter à son amie la cuisinière ; mais on ne peut pas écouter. » (P32), il est aussi un ‘’personnage’’ de l’histoire qui donne vie au récit, il donne au lecteur le sentiment de regarder les moindres fait et gestes des personnages de très près. Finalement Gide en créant cette profusion de personnage donne vie à son roman et apporte de la nouveauté dans le genre romanesque, il brise toutes les règles traditionnelles et invente son univers et sa propre conception esthétique. Il va alors se détacher de l’image du roman réaliste. Il veut faire un roman libre, il ne s’impose pas de loi ni de structure. En effet il faut pour cela le choix délibéré d’un style impersonnel : « Tout doit être dit de la manière la plus plate, celle qui fera dire à certains jongleurs : que trouvez-vous à admirer la dedans ? » (P81 JFM). Gide en plus d’avoir une multitude de personnage refuse de les décrire : « Le mauvais romancier construit ses personnages, il les dirige et les faits parler. Le vrai romancier les écoutent et les laissent agir ; » (P85 JFM). A partir de là il est intéressant de constater que Gide laisse aller ses personnages mais surtout qu’à travers cette démarche il donne la possibilité au lecteur de les imaginer et de s’approprié un peu plus l’histoire. La lecture du livre n’est plus passive, le lecteur est attentif, il participe.

Dans un second temps, la profusion des personnages permet de  faire avancer l’histoire et de crée une intrigue au sein du roman. On constate que Gide va contre toute forme d’intrigue unitaire, la profusion des personnages permet de ne pas rester figer dans un même type d’histoire et surtout d’éviter au roman d’être catégoriser dans un genre bien précis. Grâce à la multiplicité de ses personnages le roman se rattache à plusieurs genres. Les personnages ont chacun leurs caractères, leurs choix et leurs vécus ce qui fait que le roman se dépeint en de nombreuses facettes.  Il est à la fois un roman policier avec l’affaire des fausses pièces de monnaies que tente de régler Profitendieu et Molinier, mais aussi un roman d’aventures avec les innombrables intrigues amoureuses qui règne dans le roman tel que Vincent/Laura, Olivier/Bernard, Olivier/Edouard, Edouard/Laura, Lady Griffith/Vincent et bien d’autre encore. On peut aussi parler d’aventures avec la découverte de la sexualité et des désirs qui tendent vers l’homosexualité. On peut qualifier l’œuvre de Gide comme étant un roman noir avec la présence de la figure du diable (Passavant, Strouvilhou) qui va tenter les plus jeunes et les plus faibles.  Mais aussi avec les évènements tragiques tels que le suicide de Boris. Enfin on peut parler d’un roman d’apprentissage puisque le parcours de Bernard et Olivier qui est suivi par le lecteur tout au long de l’œuvre montre l’affirmation des jeunes garçons et leur construction mentale face aux différentes épreuves qu’ils rencontrent. Par la profusion des personnages Gide va donc pouvoir donner du caractère à son roman. Gide va justement imposer des pauses au niveau de la narration : « La respiration est nécessaire entre les chapitres (mais il faudrait l’obtenir aussi du lecteur)» (p84 JFM) il y a là une volonté de ne pas être emprisonner dans une seule et même histoire, qui lasserait l’opportunité au lecteur de se lasser. De plus entre le basculement d’une vie à une autre les personnages ont un temps pour agir. La profusion des personnages permet donc une avancé de l’histoire car à travers chaque personnages on obtient des informations sur la vie des autres. En effet aussi nombreux qu’ils soient les personnages sont tous relier entre eux. Par exemple lorsque l’on découvre la relation entre Vincent et Laura, c’est par la voix de plusieurs personnages qu’on la découvre, d’abord Olivier, ensuite Lady Griffith et enfin avec le journal d’Edouard.


Pour conclure, Gide en s’opposant à toutes les formes classiques du roman va créer une œuvre aux multiples facettes. Par la profusion des personnages il construit son roman et en fait une grande innovation pour le genre littéraire. A partir de celle-ci les personnages vont chacun contribuer à l’avancer de l’histoire et à la participation du lecteur. Cette profusion permet donc de bâtir l’œuvre.  

CHUPIN Maëlys 

mercredi 19 avril 2017

«Tout ce qui ne peut servir alourdit»

Le roman d’André Gide Les Faux-Monnayeurs met en scène vingt-sept personnages principalement, liés par des réseaux de relations complexes. Bien que ce dernier ne puisse concurrencer les deux-mille-quatre-cent-soixante-douze personnages de La Comédie humaine de Balzac, la profusion de personnages est néanmoins une caractéristique que partage le roman d’André Gide avec ceux du réalisme ou du naturalisme. Pourtant, André Gide prétend s’éloigner des personnages romanesques que prône la tradition balzacienne. En effet, il écrit dans son Journal des Faux-Monnayeurs: «Tout ce qui ne peut servir alourdit». Qu’apporte donc cette profusion de personnages au roman et quelle justification André Gide en donne t-il dans son journal? Nous verrons que celle-ci est au service de l’auteur, qu’elle distingue Les Faux-Monnayeurs et, en fin, qu’elle vise le lecteur.

    La profusion de personnages qui caractérise l’œuvre d’André Gide permet la lecture de la présence auctoriale. En effet, grâce aux multiples personnages, des facettes et le processus créateur de l’auteur sont en partie révélés. Les personnages des Faux-Monnayeurs sont inconsciemment le fruit des considérations personnelles de l’auteur, de ses pensées propres et de son expérience. Cette influence est parfois plus marquée pour certains personnages que pour d’autres, mais à la fin, que ce soit par approbation ou réprobation, les portraits de ces derniers dessinent en vérité le portrait central, celui de l’auteur, et trahissent sa biographie. Par exemple, dans Les Faux-Monnayeurs la ressemblance entre Gide et Édouard est indéniable même si elle n’est pas totale. // Dans son Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide écrit (p32): «Tout ce que je vois, tout ce que j’apprends, tout ce qui m’advient depuis quelques mois, je voudrais le faire entrer dans ce roman, et m’en servir pour l’enrichissement de sa touffe». Ainsi, le personnage de Sarah a certaines habitudes de langage que l’auteur rejette personnellement comme témoigne cet extrait (p68): «Sarah dit «pour ne pas que» - faute horrible, si fréquente aujourd’hui et que je n’ai vue dénoncée nulle part». De même, le Journal des Faux-Monnayeurs nous révèle que Mme Védel est inspirée d’une femme avec qui il a véritablement partagé un wagon (p80): «Admirable: la personne qui ne finirait jamais ses phrases. Mme Védel, pastoresse». Ainsi, dans un panorama de personnages se révèle la figure protéiforme de l’auteur grâce à ses portraits des figures paternelles, adolescentes, des personnages féminins etc.
    Cette profusion de personnages représente aussi un apport dans la mesure où elle est au service de son projet littéraire. En effet, les personnages introduits confèrent des dimensions particulières à l’œuvre de Gide. La présence du diable permet notamment de sortir le roman de son ornière réaliste. Or, le diable n’incarne pas un personnage en chair et en os, et ce n’est que grâce au foisonnement de personnages que sa présence se fait sentir. Il accompagne chaque personnage puisqu’il ne peut s’affirmer en un seul (traité de la non-existence du diable). Il y a donc un réseau de personnages «damné[s]» (p43) et sujets à la séduction du diable qui dénotent du registre fantastique de l’œuvre de Gide. En effet, cette profusion de personnages introduit également une réflexion sur des sujets littéraires. Celle-ci permet  des oppositions de points de vue par le biais de personnages. Par exemple, à Saas-Fée, Bernard, Sophroniska et Laura conversent à propos de la ligne directrice du roman d'Édouard. // C’est pour l’auteur un moyen de retranscrire une réflexion personnelle et de justifier, en outre, son projet stylistique. On lit, ainsi, dans le Journal des Faux-Monnayeurs après un commentaire sur le «roman pur» (p66): «Je crois qu’il faut mettre tout cela dans la bouche d’Édouard». Les personnages sont «taillés dans [s]a chair même» (p82). Pareillement, il concède à Sophroniska dans Le Journal d’Édouard une critique de «[s]on personnage" et profile ainsi son désaveu personnel à l’égard d’un certain type d’auteurs dans les mots d’Édouard: (p176) «Je comprends de reste ce que Sophroniska reproche au roman de ne point lui offrir; mais ici certaines raisons d’art, certaines raisons supérieures, lui échappent qui me font penser que ce n’est pas d’un bon naturaliste qu’on peut faire un bon romancier».

    La profusion de personnages en écho au projet littéraire d’André Gide, bien loin de ranger Les Faux-Monnayeurs dans les déjà-vus du genre du roman, explique son modernisme.

    En effet, la profusion des personnages fait une des particularités remarquables de l’œuvre, c’est une de ses caractéristiques novatrices. André Gide réalise une narration mobile selon les multiples points de vue qu’offrent les personnages. Il fait dire à Édouard à Saas-Fée que «tout le problème est là: exprimer le général par le particulier, faire exprimer par le particulier le général.» La somme de particulier a pour vocation de donner une impression de général et c’est ainsi que l’on peut comprendre la profusion des personnages. Ces derniers donnent tous un bout de leur propre réalité (subjective) pour que la vérité puisse être atteinte: «Je voudrais un roman qui serait à la fois aussi vrai, et aussi éloigné de la réalité, aussi particulier et aussi général à la fois». Édouard se demande: «pourquoi refaire ce que d’autres que moi ont déjà fait, ou ce que j’ai déjà fait moi-même?» et dans cette idée d’originalité il faudrait peut-être jouer sur l’ambivalence du mot «sujet» lorsqu’Édouard dit: «Mon roman n’a pas de sujet. Mettons si vous préférez qu’il n’y aura pas un sujet» mais une profusion de sujets.//En effet, comme Édouard, dans son Journal des Faux-Monnayeurs André Gide admet vouloir que son œuvre dure et écrit (p47) «Comment durer? Depuis longtemps, je ne prétends gagner mon procès qu’en appel. Je n’écris que pour être relu». La profusion de personnages apporte donc, en clair, de la distinction à son œuvre.
    Les personnages sont les porteurs de l’intrigue comme l’écrit André Gide dans son Journal des Faux-Monnayeurs: (p26-27) «Je tâche à enrouler les fils divers de l’intrigue et la complexité de mes pensées autour de ces petites bobines vivantes que sont chacun de mes personnages». Une profusion de personnages semble être nécessaire à (p94) «l’impression d’inépuisable» des sujets des Faux-Monnayeurs dont parle André Gide dans son Journal. // Ses personnages sont donc un moyen pour l’auteur de faire des Faux-Monnayeurs son testament littéraire, son «premier roman». Grâce à leur  multiplicité, André Gide arrive donc à introduire divers thèmes et motifs: le thème de la mort notamment à travers le personnage de La Pérouse et sa relation à une mort salvatrice; le thème du suicide, non-voulu pour Boris, désiré pour La Pérouse, et tenté pour Olivier; le thème du bonheur avec la quête d’Olivier; la tentation du diable notamment par le biais de personnages maléfiques comme le comte de Passavant et Strouvilhou, etc. Ainsi, le foisonnement de personnages s’accompagne d’un foisonnement de thèmes gidéens, de réflexions métaphysiques qui démultiplient les dimensions de l’œuvre  (dimension tragique, surnaturelle etc.) et sont la raison de sa complexité.

Bien que la profusion de personnages apporte de la complexité au roman, celle-ci est et bénéfique au lecteur et nécessaire à sa véritable compréhension.

    En effet, la complexité que confère la profusion de personnages aux Faux-Monnayeurs peut faire naître un sentiment d’égarement chez le lecteur et c’est pour cela qu’elle exige une lecture active. C’est le pacte de lecture d’André Gide qui n’est pas disposé à réfléchir pour le lecteur, en clair, qui refuse de s’adresser aux lecteurs fainéants. La complexité que l’auteur confère à son œuvre est nécessaire. Le lecteur doit donc se saisir de cette complexité dans la considération des personnages. En effet, cela permet de ne pas limiter les personnages à une caractérisation réductrice et déshumanisante que favorisent certains auteurs. Le paradoxe de l’auteur qui s’en éloigne est que bien qu’il utilise ses personnages pour faire passer certaines idées ou traits de leur pensée ou de leur caractère, ils s’évertuent à concevoir une autonomie à leurs personnages, une existence propre. Autrement dit, bien qu’ils soient des choses, des moyens, ils prétendent leur trouver une humanité. Dans Les Faux-Monnayeurs, le narrateur écrit "Laura, Douviers, La Pérouse, Azaïs... que faire avec tous ces gens-là? Je ne les cherchais point; c’est en suivant Bernard et Olivier que je les ai trouvés sur ma route. Tant pis pour moi; désormais, je me dois à eux.»//C’est ce qu’écrit André Gide dans son Journal des Faux-Monnayeurs: «Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés (et plusieurs fois, sous des angles divers) par ceux des acteurs sur qui ces événements auront eu quelque influence. Je voudrais que dans le récit qu’il s’en feront, ces événements apparaissent légèrement déformés; une sorte d’intérêt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait à rétablir. L’histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner». Le lecteur a un rôle important à jouer grâce à la complexité narrative. Complexité narrative qui devrait s’expliquer par l’indépendance et l’existence propre des personnages dont l’essence s’imposerait à l’auteur, ce qui l’éloignerait d’une caractérisation superficielle comme le révèle l’extrait suivait du Journal des Faux-Monnayeurs (p58-59): «L’ennui, voyez-vous, c’est d’avoir à conditionner ses personnages. Ils vivent en moi d’une manière puissante [...] je sais comment ils pensent, comment ils parlent [...] mais dès qu’il faut les vêtir, [...] je plie boutique». Complexité narrative qui devrait également s’expliquer par l’absence de contrôle qu’a l’auteur sur ses personnages dont il ne peut limiter le nombre. En effet, il semblerait «parfois [que le livre soit] doué de vie propre»
    La profusion de personnages aide à l’enquête du lecteur. En effet, si ce dernier approuve le pacte de lecture, il comprendra que les multiples personnages comblent les brisures temporelles grâce aux impressions données par le biais de lettres et des focalisations variantes sur les événements non relatés comme l’épisode du sanatorium entre Laura et Vincent. La multiplication des personnages n’a donc pas qu’une fonction purement stylistique mais un rôle dramatique de dynamisation et purement pratique d’information. Cette vision de biais vise le lecteur et permet une réelle compréhension de la complexité de l’œuvre d’André Gide.

    En somme la profusion de personnages a autant un apport stylistique, dramatique que purement pratique. Elle révèle la relation qu’entretient l’auteur avec ses personnages et est responsable de la complexité du roman mais aussi de sa richesse puisqu’elle permet diverses réflexions. Comme l’écrira le critique littéraire Albert Thibaudet dans La Révue de Paris en 1927 : «Les Faux-Monnayeurs sont un roman monstrueusement intelligent qu’avec son art romanesque, réel, Gide a rendu, à partir d’un certain moment, intelligemment monstrueux».

samedi 15 avril 2017

Les personnages de Gide.

André Gide accorde une grande importance à ses personnages. Dans  son œuvre, Les Faux-monnayeurs,  il multiplie les personnages accompagnés de multiples points de vue narratifs et d’intrigues secondaires diverses, créant ainsi une structure romanesque complexe. Mais qu’apporte cette profusion de personnages et comment Gide la justifie t-il dans Le Journal des Faux-monnayeurs ?  Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord que la profusion des personnages permet à Gide d’étudier les relations entre les êtres. Ensuite, nous verrons que cette étude lui permet de formuler une critique sur la société. 

 La profusion des personnages permet à l’auteur de mener une étude sur les relations humaines.
Tout d’abord, ayant choisi de jeunes héros adolescents, à l'image de Bernard et Olivier, André Gide s'intéresse à la famille et aux difficultés de compréhension entre les générations. C’est ainsi que les figures parentales sont dénigrées et que la famille représente l'hypocrisie. Ce que met particulièrement en scène Gide, c'est l'impossibilité de communiquer entre les parents et les enfants. C’est d’ailleurs le point de départ de l’histoire, puisque c’est à cause du manque de communication que Bernard fuit la maison familiale, car ses parents lui avaient caché sa bâtardise. On observe également un affrontement entre les générations, et les différentes valeurs. Nous avons d’un côté la jeunesse, qui a soif de liberté et de découverte, et qui  est contrainte par les plus vieux à rentrer dans un moule qui ne lui convient pas. C’est notamment le cas avec le petit Boris. Ce dernier est forcé de quitté Saas-Fée pour Paris, et ce déménagement n’aura que des effets néfastes qui iront jusqu’à la mort.  André Gide dénonce donc toute forme d'éducation qui oppresse plus qu'elle n'aide à grandir. Il se place résolument du côté des jeunes gens et peint avec ironie les figures parentales.  Voilà pourquoi le roman commence avec un désaveu, celui du fils pour père. Profitendieu perd le respect de Bernard. Pour souligner toute la fausseté de cet homme qui croit être un modèle pour ses enfants, André Gide en fait un "faux père". En effet, il n'est pas le géniteur biologique de Bernard. De même pour les grands-pères. Dans le roman, ils peuvent essayer de se subtiliser à l'autorité paternelle absente. C'est le cas de deux personnages : Azaïs et La Pérouse. Ces deux personnages représentent pour Gide le naufrage de la vieillesse. Ils échouent dans leur tentative pour remplacer le père. Le pasteur Vedel n'est jamais présent quand il le devrait, La Pérouse est moqué par les élèves qui le surnomme "père Lapère". De plus, il n’arrive pas à se rapprocher de son petit fils. Ils sont donc coupés de la jeunesse et de la réalité, comme dépassés par la nouvelle génération.  Gide remet donc en question l’autorité parentale et ses méthodes, à travers les personnages.
         Par la suite, Gide va s’intéressé  à la confusion des sentiments qui empêche les hommes de parvenir à se comprendre et à s'aimer avec authenticité. En effet, les personnages cherchent la vérité et la liberté dans les relations amoureuses.  On remarque qu’ils  ont du mal à exprimer leurs sentiments et préfèrent se tourner autour plutôt que d'avouer la vérité. C’est le cas d’Olivier, qui  plutôt que d'avouer à Édouard qu'il l'aime, fuit avec Passavant en Corse alors qu'il souffre cruellement de cette situation. L'amour est également confus car les personnages sont en quête d'un idéal. Ils croient pouvoir trouver cet idéal dans des amitiés amoureuses. C'est ce que cherche Bernard avec Olivier, qui représente tout à la fois pour lui : l'ami, l'amoureux, et le modèle. Ainsi, André Gide insiste ici sur le pouvoir de l'imagination qui trouble les esprits et crée des images mensongères et trompeuses. Dès lors, les personnages se posent des questions sur la sincérité et se demandent si elle est possible. On peut prendre l’exemple de la lettre de Laura à Édouard dans la première partie du roman à Paris : « Vais-je oser vous avouer à vous ce qu'à Félix je ne puis dire ? [...] les lettres que je lui écris depuis quelque temps sont menteuses et celles que je reçois de lui ne parlent que de sa joie de me savoir mieux portante. »  Laura dit l'impossibilité pour elle d'être honnête et sincère avec son mari. On peut donc dire que la profusion de personnages permet à Gide d’observer les différents comportements des hommes. Dans Le Journal des Faux-monnayeurs il explique cela en disant que « Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir : il les entend parler es avant que de les connaitre, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il comprend peu à eut qui ils sont ». Voilà pourquoi tout au long du roman le lecteur a l’impression que l’auteur découvre en même temps que lui ses personnages.  Il les rencontre au cours de son aventure de l’écriture.
Cette étude va ensuite permettre à Gide de critiquer la société dans laquelle il vit à travers ses personnages. 

Dans Les Faux-Monnayeurs, André Gide livre une vive critique de la société du XXe siècle.
 Il dénonce la fausseté et l'hypocrisie qui règnent. C'est la raison pour laquelle il a choisi le thème de la contrefaçon, que l'on retrouve dès le titre du roman. Tout d’abord, les héros des Faux-Monnayeurs, et particulièrement Bernard, sont en quête de pureté. Les valeurs bourgeoises des parents ne répondent pas au besoin d'authenticité des jeunes gens. Toutefois, ces derniers ne symbolisent pas forcément l'authenticité. André Gide met en scène Georges et ses compagnons qui sont pervers et n'hésitent pas à se lancer dans un trafic de fausse monnaie, des orgies ou à pousser au suicide le jeune Boris qui incarne l'innocence et la douceur. Des autres personnages adultes incarnent particulièrement la fausseté et le mensonge comme Passavant: qui est prêt à tout pour séduire le jeune Olivier. Même l'éducation est un mensonge, car la pension Vedel est avant tout une affaire commerciale. La famille est une tromperie. On le comprend avec la bâtardise de Bernard. Gide dénonce ainsi de nombreuses conventions sociales : « Les préjugés sont les pilotis de la civilisation », dit Édouard qui critique la société qui repose sur les préjugés, et donc sur les apparences et les idées fausses.
André Gide dénonce donc surtout une société où les normes empêchent l'Homme d'être libre. Tout d’abord il dénonce une société dans laquelle la femme est cantonnée à des rôles réducteurs et où elle est constamment sacrifiée. Voilà pourquoi Laura symbolise la condition de la femme dans la bourgeoisie chrétienne, madame La Pérouse est devenue paranoïaque, madame Vedel est devenue folle, Pauline est trompée et résignée. Lilian est tuée par Vincent, et Rachel, dont le prénom signifie "brebis" en hébreu, est constamment sacrifiée. André Gide rejette donc le modèle féminin traditionnel de son époque. On peut se demander si c’est pour cela qu’il favorise l’homosexualité dans son roman. Pour finir, l’auteur critique les institutions traditionnelles à travers ses personnages. Tout d’abord, nous avons  la justice qui n'est pas partiale, elle n'aide pas réellement. Molinier et Profitendieu souhaitent protéger leurs semblables. En effet, lorsque le scandale des orgies et de la fausse monnaie leur parvient, ils préfèrent fermer les yeux et ne pas « poursuivre » ou « compromettre » des « familles respectables ». Ensuite, l'institution religieuse est également vivement critiquée par André Gide. Il ne s'oppose pas à la foi, mais il dénonce le protestantisme rigide, le puritanisme qui finit par pervertir les personnages. C'est le cas dans la pension Vedel. Gide rejette tous les donneurs de leçons qui pensent mieux savoir que les autres. Il estime qu'il n'y a pas d'épanouissement possible dans la religion. Enfin, l'école et la façon dont les professeurs enseignent sont remises en cause. Dans la pension Vedel, la cruauté et la stupidité des élèves sont liées à leur éducation qui les pousse à ces agissements. L'attitude des jeunes gens est elle-même éloignée d'un idéal de savoir et d'intelligence. On peut prendre l’exemple du vieux La Pérouse qui n’arrive pas à s’affirmer face aux élèves et à imposer une discipline.  Ainsi André Gide se sert des personnages pour rejeter les conventions, la place accordée aux femmes, et également les institutions traditionnelles comme la religion, la justice et l'éducation. Dans Le Journal des Faux-monnayeurs, il explique cela : « Il m'est certainement plus aisé de faire parler un personnage, que de m'exprimer en mon nom propre.» Les personnages reflètent donc les pensées de l’auteur, voilà pourquoi ils sont importants.

En somme, on peut dire en premier lieu que la multitude de personnages a pour but de créer les intrigues et de faire avancer l’histoire. Mais si on va plus loin, on comprend que cette profusion de personnages permet surtout à Gide de mener une étude sur les relations humaines et formuler ainsi une critique des mœurs de la société de son époque. Ils observent ses personnages et les critiques pour remettre en question nos valeurs. Dans Le Journal des Faux-Monnayeurs, il dit qu’il  « n’écris que pour être relu », autrement dit, ils nous invitent à nous remettre en question à travers ses personnages.