mercredi 30 novembre 2016

Quel est donc le rôle du choeur dans Oedipe roi ?

Dans les origines du théâtre, le choeur (qui est né en Grèce), est une formation religieuse d’une douzaine d’hommes ou femmes chantant et dansant à l’unisson afin de célébrer un dieu. 
Cette formation continuée de citoyens qui a pour chef le coryphée, est plus communément l’émanation de l’opinion publique.
Nous allons analyser le rôle du choeur dans la pièce “Oedipe roi” de Sophocle, ainsi que les liens qui peuvent être faits avec la dimension politique au Vème siècle av JC.


Choeur a tout d’abord le rôle “d’encadrer” la tragédie. 
En effet, il entre en scène entre chaque épisode. Son arrivée sur scène est annoncée soit par le mot “parados” lorsqu’il parle (par exemple le premier parados se situe page 16 du livre, puis le second page 28, ect), soit par le mot “Stasismon” lorsqu’il chante (le premier stasismon se situe par exemple page 28, et ainsi de suite). C’est une entité qui encadre la tragédie dans une atmosphère de lamentation, sur un ton pathétique : “Ô douce parole de Zeus”, “Mon âme, tendue par l’angoisse est là, qui palpite d’effroi”, “Ah ! je souffre des maux sans nombre” se plaint le choeur entre les pages 16 et 17 de l’ouvrage. Son chant rajoute également au pathétique, à la lamentation, à l’aspect théâtral. Nous pouvons également noter (et c’est un élément important) que le choeur (plus précisément le coryphée) ouvre et ferme la tragédie d’Oedipe chez Sophocle. Il l’ouvre lors du dialogue qu’il a avec Oedipe, page 19 lors du premier épisode après le prologue. Il ferme par la suite la tragédie en énonçant la fameuse citation qui clos le livre de Sophocle : “Gardons nous jamais d’appeler un homme heureux avant qu’il n’ait franchit le terme de sa vie sans avoir subit aucun chagrin”.

Le Choeur constitue ensuite le lien entre le divin et l’humain. En effet, contre toute attente, le choeur ne constitue pas uniquement une barrière entre le divin et les personnages. cette entité est parfois en contact indirect avec ces derniers. Pour cause, page 35, nous pouvons assister à un dialogue entre Jocaste et Oedipe, que le choeur, pourtant silencieux aux oreilles de ces derniers commente, tel un spectateur qui commente un film. “Mais quel était donc le propos ?” demande Jocaste à Oedipe. “C’est assez, bien assez, quand Thèbes souffre déjà, d’en rester où finit l’affaire” commente le choeur, semblant lui donner un conseil. Le choeur est même parfois en contact direct avec les personnage, à travers la voix du coryphée. Prenons pour illustrer un des derniers actes, où Oedipe se crève les yeux, page 58. “Ah! qu’as tu fait ? comment as tu donc pu détruire tes prunelles ? Quel dieu poussa ton bras ?”, ce à quoi répond Oedipe “Apollon mes amis ! C’est Apollon qui m’inflige à cette heure, ces atroces disgrâces”. C’est donc à un dialogue direct auquel nous avons affaire là, qui n’est pas sans rappeler le dialogue du premier acte entre Oedipe et ce dernier. Le choeur est donc non seulement en relation avec les humains, mais il est également en consentante relation avec le divin (qui est l’essence de la tragédie) : il se lamente et prie au sujet de la tragédie qui frappe Oedipe et craint pour lui le châtiment au près des dieux (“Ô Zeus” page 16, “Sire Apollon” page 21, “Je t’en prie” page 34, “Ah, fasse le destin” page 41, ect).


finalement, cette instance, constituée de citoyens communiquant et jugeant les personnages, ne forment elle pas un sorte de tribunal de la tragédie ? Un tribunal qui exposerait les faits, et craindrait le pire pour les personnages : la mort. Un tribunal qui les jugerait, leur ferait par de son avis (car il n’est manifestement pas neutre) : “Pauvres générations humaines, je ne vois en vous qu’un néant” s’exclame le choeur page 53, donnant là clairement son avis sur la tragédie Oedipienne. 
Le rôle de cette entité, constitué de citoyens se rapporte énormément aux tribunaux d’Athènes au Ve siècle AVJC. Ses membres, les héliastes, au nombre de 6.000 (600 par tribu), étaient tirés au sort annuellement parmi l'ensemble des citoyens, sans distinction de classe. Le choeur est donc finalement un tribunal. 




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Nous pouvons constater, cependant, que dans la ré interprétation Pasolinienne du mythe d’Oedipe, le choeur n’est pas présent. Pour cause, l’aspect théâtral a perdu sa place dans ce film moderne. Mais où est donc passé le choeur ? 
Il y a une transposition du choeur dans cette oeuvre, quelque chose qui remplace sa présence, et nous pourrions presque dire que ce sont les musiques présentes, les bandes son qui le remplacent. 

En effet, la musique chez Pasolini, tout comme le choeur chez Sophocle, ouvre l’histoire de la tragédie : lorsque le père d’Oedipe, Laïos, à la fin du prologue vient dans le lit de son enfant afin de l’atrophier (selon l’interprétation propre à Pasolini), des tambours retentissent en fond, annonçant ainsi le début de la tragédie. 
A de nombreuses reprises des sons de tambours et flutes entremêlés se font entendre : lorsqu’Oedipe revient de chez la pythie, ce son se fait entendre, similaire à des paroles de désolations du choeur, qui craint le pire pour Oedipe après cette révélation sans précédent, annonçant déjà l’atmosphère tragique. 
Ce même son se fait entrendre juste avant qu’Oedipe croise son père, lorsqu’il erre sur les routes, comme si le choeur présent sans pourtant l’être réellement prévenait Oedipe du malheur qui l’attendait, le mettait en garde. 
La musique boucle, ferme également le mythe Oedipien :
lorsqu’Oedipe se crève les yeux puis sort du palais, un son de flûte presque désagréable aux oreilles se fait entendre. Cette sonorité musicale prend presque un ton accusateur, reprochant à Oedipe tout son malheur lorsque celui ci apprend enfin la vérité. 
Egalement, lorsqu’Oedipe dans l’épilogue va retrouver le village de son enfance, accompagné d’Angelo, il joue de la flute, ce son qui couvre la bande sonore et rempli les oreilles du spectateur comme des chants implorant les dieux de pardonner Oedipe, des chants lyriques. 


Les exemples utilisés ici montrent donc à quel point le film de Pasolini est modernisé, remplaçant le choeur par des bandes sons musicales dans sa ré interprétation du mythe. 

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