jeudi 15 décembre 2016

Sacré et religion s'entendent ils ?

(Code couleur : PASOLINI / SOPHOCLE)


La tragédie trouve ses origines religieuses à Athènes : ce genre théâtral nait lors des fêtes, cérémonies organisées en l’honneur du dieu Dionysos.
Sophocle, en son temps, dans la citée athénienne, laisse le souvenir d’un homme très pieux. Cette atmosphère religieuse et de sacré est très présente dans son oeuvre Oedipe roi. On retrouve également cette même dimension dans le film de Pasolini, Oedipe roi, ré adapté de l’oeuvre de Sophocle.
Le sacré, en son sens définitionnel, peut être compris comme étant un ressenti, une expérience qui peut peut être à la fois individuelle et collective. La religion quant à elle est une élaboration sociale qui vient dans un second temps par rapport au sacré. Nous pourrions dire que la religion “codifie” le sacré. Mais malgré cette différence entre les deux, un lien fort, inéluctable les unit. Seulement, dans les oeuvres de Sophocle ainsi que de Pasolini, nous pourrions nous demander si le sacré est réellement indissociable de la religion.

Nous pourrions dire dans un premier temps qu’effectivement, le sacré et le religion sont indissociables dans leur sens définitionnel.
En effet, comme nous l’avons dit précédemment, Sophocle était en son temps un homme très pieux, et donc cela apparait énormément dans son oeuvre : Le Dieu Apollon est par exemple très mis en avant (c’est d’ailleurs lui le Dieu qui dans la mythologie jette la malédiction sur la famille des Labdacides). Egalement, nous remarquons que dans le livre, le choeur implore très souvent les dieux, fait de nombreuses références à ces derniers et/ou au monde du divin : “Ô Zeus” page 16, “Sire Apollon” page 21, “Je t’en prie” page 34, “Ah, fasse le destin” page 41, ect. Cette relation qu’entretiennent la cité de Thèbes, le Choeur, et même Oedipe avec les dieux est considéré comme étant de la religion : lorsqu’il va voir la Pythie par exemple, ou encore envoie Créon prier les oracles, lorsqu'il s’en remet aux dieux, les prie, …. Car nous savons  en effet que la religion codifie le sacré, et donc généralement qui dit religion dit prières. Prières qui sont d’ailleurs redondantes à travers l’oeuvre de Sophocle ou même dans le film de Pasolini : Le choeur prie les dieux, Oedipe les prie, ainsi que toute la ville et également Jocaste (lorsque par exemple dans le film ou même dans le livre le messager de Corinthe vient annoncer la mort de Polybe, père adoptif d’Oedipe, cette dernière s’apprête à aller prier les dieux, d’aller “dans les temples des dieux (…) leur porter des guirlandes et parfums” comme elle le dit si bien). Mais il n’y a pas que la religion qui est un thème redondant, le sacré est également très présent ici, car en effet les personnages de la pièce et du film croient réellement en ces dieux, ces divinités qu’ils implorent, ont la foi en eux (Finalement cette société, ce petit monde, s’apparentent fortement à la manière dont la société de l’Athènes antique dans laquelle vivait Sophocle, aborde le sacré, la religion). Ils s‘en remettent entièrement à eux car ils ont pleine foi en eux : Oedipe envoie par exemple Créon questionner les oracles afin de savoir comment remédier au “mal” qui saisit Thèbes, ce à quoi ces derniers répondent “Il faut chasser la souillure que nourrit ce pays”. Oedipe s’en remet à l’oracle (et donc indirectement aux dieux) au début du film de Pasolini car il croit en ces derniers, est persuadé qu’ils pourront lui donner une réponse). Tiresias représente d’ailleurs cette dimension mixte de sacré et de religieux : Il a la foi en ces dieux (car comment ne pas l’avoir lorsque l’on est oracle et qu’on communique directement avec les dieux), et les prie en même temps. Sa fonction est de transmettre leur parole aux habitants de Thèbes afin de les guider. Mais c’est d’ailleurs là la complexité de ce personnage : Il se trouve entre l’humain et le divin. 
Nous pourrions donc dire que logiquement le sacré est indissociable du sacré : Pourquoi donc prier les dieux (Religion) si la foi ne va pas de paire (domaine du sacré). Seulement à cela nous pourrions répondre que qui dit sacré ne dit pas forcément religion : l’un peut très bien aller sans l’autre. Un homme qui a la foi n’est pas dans l’obligation de suivre les codifications et donc de prier, et inversement un homme qui prie peut ne pas avoir de foi.

Dans un second temps nous dirons donc que contrairement à ce que l’on pourrait voir, le sacré est bel et bien dissociable du religieux : les deux ne vont pas forcément de paire.
En effet, prenons l’exemple de Jocaste. Nous pourrions dire que ce personnage est complexe : cette dernière s’en remet aux dieux tout en restant pieuse (Lorsque le messager de Corinthe arrive dans le palais pour annoncer la mort de Polype elle est d’ailleurs sur le point d’aller prier les dieux. Dans le livre cette dernière est aussi très pieuse : “Au nom des dieux”,  dit elle pages 34 et 36, “les dieux en sont garants” dit elle aussi page 34). Mais ne connait elle pas déjà la faute qu’elle commet ? A elle donc réellement la foi en ces derniers si elle va les prier pour son avenir alors qu’elle connait déjà son sort funeste et sait qu’elle est fautive ? Ne va elle pas prier uniquement dans le but de se rassurer ?
De plus, les personnages en général dans les deux oeuvres (Film et livre) ont la foi (donc la dimension du sacré est présente), mais dans le film par exemple, aucun d’eux n’est vu en train de prier (comme nous l’avons expliqué précédemment, la religion codifie le sacré, et donc généralement  qui dit religion implique prière). Même si nous SAVONS que les personnages prient effectivement les dieux, nous ne voyons jamais / ne lisons jamais de passages qui relatent par exemple d’Oedipe dans le temple d’Apollon, ou encore Créon lorsqu’il va implorer les dieux, ou même Jocaste lorsqu’elle va prier les oracles. Serais-ce une tentative de la part de Sophocle ou même de Pasolini de dissocier sacré et religieux, ou de censurer le religion afin de faire passer le message que la foi est tout à fait possible sans religion ?
Puis nous pourrions prendre le motif de la peste (L’oeuvre de Sophocle commence lorsque la peste frappa Thèbes, et le film de Pasolini consacre d’ailleurs de longues séquences à cette maladie). Les habitants de Thèbes, mais aussi Jocaste, Oedipe, Créon,…. implorent les dieux, mais peuvent ils réellement garder la foi lorsque même après de nombreuses prières ces  mêmes dieux restent sans réponse, sourds à ces prières ? Finalement, ce sera à eux de faire en sorte que la “souillure” qui infecte le pays s’en aille, car les dieux n’interviendront en aucun cas.
Egalement, Tiresias qui lui SAIT quelle est la destinée des personnages principaux (à savoir Jocaste et Oedipe) ne peut avoir la foi en un futur meilleur : il sait ce qui va se passer, et donc dans ce cas là il n’a pas de foi.


Nous pourrions donc dire en conclusion que le sacré et la religion peuvent paraître indissociables à première vue, mais que l’on retrouve à travers les deux oeuvres des passages qui montrent qu’un homme peut avoir l’un sans l’autre. Certains personnages, peuvent prier tout sans avoir aucune foi, et inversement. Pasolini et Sophocle tenteraient ils parfois comme nous l’avons expliqué précédemment, de dissocier les deux ? car comme nous le savons, Pasolini a choisi, dans sa réadaptation de supprimer le choeur, qui a tout me même une place important dans l'aspect religieux de cette tragédie.

1 commentaire:

  1. Une analyse très pertinente des oeuvres, avec des références précises à chacune d'entre elles. Le devoir s'inscrit bien dans une démarche comparative.
    Attention toutefois à ne pas alourdir votre rédaction par une multiplication des parenthèses et par certaines répétitions ("le livre" au lieu de la "pièce", "la tragédie").

    Bravo ! Poursuivez ainsi !!!

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