Pour répondre à cette interrogation nous allons dans un premier temps analyser la dimension du sacré chez Sophocles. Nous aborderons dans un deuxième temps la nouvelle dimension du sacré formulée par Pasolini.
Chez Sophocle, le sacré est indissociable de la religion. Ainsi, les dieux, symboles de la
religion, détiennent une place centrale dans la tragédie. Ils sont très souvent invoqués dans la pièce. Sophocle
sépare très nettement la place des dieux et le proskrenium (place des acteurs/ lieux de profanation).
Tout d'abord, nous voyons que les personnages, sont très proches et reconnaissants de l'Ether (au-delà). Le chœur par exemple (élément
central de la tragédie), demeure un personnage proche de la divinité. Il est le
trait d’union entre les dieux et les hommes. Il a un rôle modérateur et sage. C’est d’ailleurs l’un
des éléments les plus purs de la tragédie. Le chœur est le reflet de la place
des dieux dans la vie des hommes ; afin de marquer leur reconnaissance et
leur admiration envers eux, ces derniers, n’hésitent pas à les appeler à
l’aide. Lorsqu’il y’a eu la peste par exemple, le prêtre a demandé a
Œdipe d’invoquer les dieux afin de remettre l’ordre dans la cité. Ils sont donc considérés comme les seuls à pouvoir
sauver le monde des mortels. De plus, les personnages n’oublient pas leur place
d'homme face à ces derniers. En d’autres mots, ils n’oublient pas les
châtiments dont ils sont capables. Ne faisant pas d’apparition sur scène, les dieux
s’expriment en grande partie avec les mots. Leurs paroles sont transmises de
façon indirecte aux hommes ; cela grâce aux oracles (ils sont
essentiels) et aux portes paroles tel que le prêtre de
Zeus et Tirésias. Tirésias le divin comprend et permet de traduire la volonté (bonne ou mauvaise) des dieux. Cependant il se voit impuissant face à ces derniers, car selon lui tôt
au tard, la volonté des dieux se fera ressentir et qu’il n’est personne pour
changer le cours de la vie d’un mortel (scène d’agône avec Œdipe). Cependant, lorsqu'ils s'expriment, ils montrent leur supériorité. En effet, dans l’Ether,
les dieux ont des connaissances supérieures à celles des hommes. Ils ont quatre
caractéristiques principales. Ils sont puissants, ils sont énigmatiques (les
hommes ne les comprennent pas souvent) ils sont manipulateurs, dans la mesure
ou ils font croire des choses aux hommes(par exemple Œdipe et sa vie illusoire) et enfin cruels car ils ne laissent pas aux hommes le choix de se libérer de
leurs maux.
Ensuite, nous avons la réaction dans le proskrenium, lieu de profanation. Les hommes interviennent sur la Skene (décor). Dans cette dernière, les
hommes profanent et transgressent les lois. C’est ce qui est
hors du regard des spectateurs et qui se cache derrière la Skene. Dans le Proskrénium,
(espace réservé aux acteurs) ce n’est pas le lieu d’horreurs, mais par contre
certains personnages vont à l’encontre des dieux. Par exemple Jocaste et Œdipe,
vont commettre l’hybris et vont subir la nemesis (la foudre) des dieux . Pour
Œdipe, il va commettre le péché de l’orgueil, en se mettant à la place des
dieux (sauveur de Thèbes) mais également en offensant Tirésias (grand divin
envoyé des dieux). Pour Jocaste, elle va faire comprendre que même avec tout le
respect qu’elle a pour eux, elle considère que les oracles ne sont que
des histoires et que rien de ce qu’ils disent ne se passe.
Dans l’orchestra en revanche, espace où la volonté divine
n’est jamais transgressée mais honorée, (c’est un lieu séparé du proskrenium) le
chœur évolue; il détient alors une place pieuse et modératrice. Par exemple, dans
le stasimon 1 il va refuser de prendre partie pour Œdipe ou Tirésias, car dans
les deux cas, ça aurait été un déshonneur envers les dieux.
On peut donc voir que leur vie est déterminée par leurs croyances envers les dieux et que donc le sacré
est indissociable de la religion.
Pasolini en revanche, à la différence de Sophocle, dissocie
le sacré de la religion. Sa représentation du sacré
est dégradée, dépouillée, à l’état sauvage et non sublimée. Et cela se ressent dans la nouvelle dimension que
Pasolini donne au sacré.
Premièrement, Pasolini réorchestre le mythe à sa façon. Il
supprime les éléments qui confèrent à la religion un caractère sacré. En effet,
on voit que le chœur est éliminé. Comme il a été dit précédemment, le chœur est
l’un des personnages les plus proches des dieux. Pasolini, le remplace par des chants
roumains ; une langue inaccessible. Il y’a ainsi une transposition
particulière du chœur, qui empêche une identification précise de la pureté. Tout
comme le chœur, les oracles sont désacralisés à leur tour. L’oracle de Delphes
par exemple n’est plus dans un temple (comme chez Sophocle) mais plutôt sous un
arbre, mâchouillant des fleurs de lauriers. Le fait que la Delphe mâche le laurier,
plante qui reflète la souveraineté, montre en effet une certaine
désacralisation. Enfin nous pouvons voire que des personnage comme Tirésias,
messager des dieux est complètement rabaissé. A la différence de chez
Sophocle, avec Pasolini, nous voyons Tirésias représenté comme un
mendiant, avec des habits sales, des cheveux en pétard et des dents marron. De
plus nous voyons que c’est non plus sa fonction de messager d’Apollon qui
attire Œdipe après sa mutilation, mais plutôt son talent de joueur de flûte
(talent de mortel).
Deuxièmement, Pasolini transpose à travers son œuvre
filmographique son « cinéma de poesie ». De cette façon, il
réenchante le monde en révélant sa dimension sacrée. Tout au long du film, le réalisateur fait en
sorte que nous ne sentions pas la caméra. C’est une façon de rendre le film
plus enchanteur. Le spectateur se sent tout de suite transporté dans le mythe.
Grace à une conception tout a fait différente de celle du quotidien, Pasolini redéfinit
la réalité du monde. Il lui donne un autre sens. On retrouve une figure du
poète lyrique. Notamment la scène avec Angelo à la fin lorsque Oedipe est
aveugle. Angelo (même de par son nom) est le symbole de l’ange venu délivrer
l’homme de ses souffrances et des ses pensées. D’ailleurs, le fait que Angelo
ait donné la flûte à Œdipe, nous donne l’impression qu’il lui tend la perche
pour renaître et réenchanter son monde. Le
sacré dans le cinéma, réapparait également grâce aux procédés techniques. En
d’autres termes, le cinéaste fait en sorte que le jeu de caméra nous ouvre les
yeux sur le monde. Par exemple lorsque Œdipe est dans le désert et qu’il confie
sa vie au hasard, la caméra montre un ciel aveuglant. Le soleil est dans
certains mythes, un signe de désastre qui annonce des malheurs (référence à
l’œuvre d’Antigone). Ou encore, l’Oracle de Delphes où la confrontation d’Oedipe
avec le sacré est institutionnalisée. On retrouve un statut ambigu de la scène,
avec des hallucinations rythmées par les apparitions et disparitions de la foule.
Ainsi, il désacralise l’idée de la religion et des dieux en nous montrant un
monde onirique, fictif et parallèle au
nôtre.
En somme le sacré de Sophocle et le sacré de Pasolini
s’opposent de façon très claire. Alors que Sophocle va chercher à rendre grâce
aux dieux, et donc a rendre le sacré indissociable de la religion, Pasolini lui
va plutôt se pencher sur redéfinition du sacré. Il va chercher à ramener
le sacré de la préhistoire, en le réadaptant a notre monde avec le « cinema de poesie ». Pasolini ne dissocie pas totalement le sacré du
religieux; il lui confère une autre dimension.
Des analyses pertinentes, avec des références très précises aux oeuvres. Il aurait fallu toutefois confronter davantage les deux oeuvres au sein de deux parties, inscrire votre réflexion davantage comparative.
RépondreSupprimerC'est mieux au niveau de la maîtrise de la langue (attention toutefois au langage familier "cheveux en pétard", "tendre la perche", ou aux mots qui n'existent pas 'filmographique" au lieu de "cinématographique).
Poursuivez ainsi ! Des progrès !!!