jeudi 8 décembre 2016

La Peste sous toutes ses facettes...


Dans l’Antiquité grecque, la Peste était connue sous une identité différente de celle qu’elle possède aujourd’hui. Non pas définie comme une maladie incurable mais plutôt comme un évènement catastrophique, frappant une cité entière, le terme de « peste » était plutôt allié à un phénomène socio-culturel voire même religieux. Dans le théâtre grec, l’allégorie de la Peste est, comme il a été dit plus tôt, l’expression d’un malheur accablant.  Si chez Sophocle la peste désigne uniquement cette forme de malheur imposé par les dieux, chez Pasolini, elle désigne également celui du terme modernisé, qui est la maladie telle que nous la connaissons.
Ainsi, on pourrait se demander : quelles sont les fonctions qu’occupent la peste dans la pièce de Sophocle et le film de Pasolini ?
Nous verrons dans un premier temps en quoi la peste, dans les deux œuvres, représente-t-elle le moteur narratif qui installe le tragique. Dans un second temps, nous étudierons en quoi est-elle un lien logique permettant de montrer les relations entre les hommes et les dieux. Et enfin, nous nous demanderons comment la peste peut-elle se définir comme la métaphore d’Œdipe.

Tout d’abord, la peste représente chez Sophocle et Pasolini un moteur narratif qui installe le tragique. Chez Sophocle, le prologue s’ouvre sur cette malédiction qui accable le peuple. En effet, il met en scène le prêtre du temple d’Apollon avec de jeunes élèves demandant à Œdipe de soigner la ville de ce qui la souille. « Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s’est abattue sur nous », voici les paroles du prêtre qui annoncent les imprécations qui s’abattent sur Thèbes. A travers le terme « porte-torche » nous comprenons que la Peste a une fonction bien déterminée, celle de faire tomber le voile sur toute obscurité et mettre en lumière, la vérité. Cette vérité, nous la comprenons, est bien celle de la prophétie d’Œdipe qui sera annoncée plus tard. Dans son film « Edipo Rei », Pasolini représente la peste de manière très crue. Cette scène débute à la 53e minute du film, suite à la victoire d’Œdipe sur la Sphinge puis, après son mariage avec la reine Jocaste. La transition entre les deux scènes étant très violent et hachée, nous spectateurs, vivons ce passage vers la scène de la peste de manière particulièrement horrifiante et répugnante. En effet, Pasolini oppose la scène de la première nuit d’amour (action déroulée le soir) entre Œdipe et Jocaste à celle de la maladie qui ravage les corps de la ville (action déroulée en plein jour) ; cela accentue l’horreur de cette-dernière et montre le passage ombre-clarté comme celui de l’ignorance vers la vérité. Le film fait donc écho à la pièce.
De plus, dans l’Antiquité, cette vision de la peste se manifeste dans trois systèmes : chez l’humain, chez l’animal et le végétal. Il entraîne le déclin de toute vie, et par la stérilité, interdit tout renouvellement de la vie par la naissance. C’est ainsi que Sophocle les traduit en donnant le nom de « peste ». Ainsi, dans sa pièce, Sophocle décrit un monde bouleversé par ce fléau, à travers la description que fait le chœur dans la parodos : « Tout mon peuple est en plie au fléau... ». De ce fait, la Peste dans la pièce nous annonce dès le prologue, le dénouement tragique de l’histoire.

Ensuite, la peste est également un moyen de relier les dieux aux hommes. C’est par ce biais que tout d’abord, le destin tragique d’Œdipe sera annoncé. En effet, le prologue s’ouvre avec la maladie qui dévore la ville, suivie d’une atmosphère solennellement religieuse. Les didascalies à la page 11 le prouvent : « Un groupe d’enfants », « chacun d’eux a en main un rameau d’olivier », « le prêtre de Zeus ». Elles permettent de poser un ton sur l’ambiance du prologue, et montrer dès le début la présence pesante des dieux sur le malheur des hommes. Cette présence est également signifiée par la parole du prêtre qui annonce les conditions tragiques dans lesquelles vivent les Thébains, à travers a voix résonne celles divines : « Découvre pour nous un secours. Que la voix d’un dieu te l’enseigne ou qu’un mortel t’en instruise, n’importe ! ». On comprend, après cette phrase, qu’à la fois un mortel et un dieu (à travers les oracles) auront raison d’Œdipe et lui apprendront la vérité.
Dans le film de Pasolini, lui-même se représente religieux, en prenant le rôle du prête qui demande à son roi, comme dans la pièce, de délivrer la ville de la malédiction. Pasolini incarne alors la divinité, et instaure l’échange entre lui (le prêtre) et le roi Œdipe. Cette scène se joue, de plus, au pied des marches du palais ce qui renvoie également à la pièce de Sophocle. De plus, les chants des femmes dans la scène du cortège funéraire (1h00min) conduisant les cadavres au bûcher, formulent une connotation religieuse voire divine, puisqu’ils renvoient, aux chants des femmes dans l’Antiquité, lors des obsèques de morts. En effet, ces chants étaient des sortes d’appels, de prières aux dieux. Enfin, à la 53e minute, Pasolini filme des vautours en contre-plongée. Ils rôdent au-dessus des cadavres, prêts à les dévorer. Cela représente à la fois la souillure de la ville (Œdipe) mais aussi le malheur qui pèse sur ses habitants avec leur mort. En effet, ces vautours nous donnent une impression de menace mais aussi d’infériorité. Les voyant voler dans le ciel, nous avons un renvoi à la dimension divine : celle des dieux qui ont « jeté un sort » sur la ville.

Enfin, la peste dans les deux œuvres se définit comme étant la métaphore d’Œdipe lui-même. Elle représente le malheur que les dieux infligent à Thèbes. Mais pourquoi cela ? Cette punition n’est dédiée à personne d’autre qu’à Œdipe lui-même et représente à la fois ce qu’il est. Plus précisément, la peste est une maladie, une souillure mais aussi une malédiction jetée par les dieux. Œdipe incarne en lui-même cette souillure, voilà pourquoi il n’est pas touché par la maladie car il la porte en lui, il la génère : il s’agit de son destin, le parricide (tuer son père) et l’inceste (coucher avec sa mère). Dans la pièce de Sophocle, on retrouve cette métaphore d’Œdipe : « Chasser la souillure qui nourrit ce pays et de ne pas l’y laisser croître jusqu’à ce qu’elle soit incurable ». Ici même le destin du roi est annoncé. Nous analysons dans ces paroles ce qui va exactement se produire : Œdipe va s’exiler de la ville pour ne pas laisser se développer cette souillure qui est en lui, la souillure de l’inceste. Comment pourrait-elle se développer comme l’évoque la citation ? C’est bien à travers le ménage interdit entre Jocaste et Œdipe qu’elle pourrait évoluer : la procréation d’enfants provenant à la fois d’une mère et d’un père, mais qui est aussi un frère.
De plus, on remarque cette métaphore d’Œdipe par la peste, dans le film de Pasolini également. Dans « Edipo Re », la tragédie de Sophocle est reprise à partir de la 53e minute, avec la peste qui ravage la cité. Elle s’annonce par un cut très brutal entre la scène précédente et celle-ci. Pasolini film alors, en gros plan, des cadavres abandonnés morts de la peste. Ici, il vise à montrer l’atrocité de la scène et du fléau qui s’attarde sur Thèbes. Après cela, un plan de demi-ensemble élargit la vision à un bébé nu, à côté d’un corps. Etrangement, parmi tous ces thébains, il est le seul encore resté en vie ; la peste ne l’a pas touché. En effet, nous pouvons faire le lien avec Œdipe qui lui aussi a l’air immunisé de la maladie. Ce bébé pleure, il réclame sa mère. Encore un rappel à Œdipe, mais qui est cette fois-ci un clin d’œil à Freud avec le complexe d’Œdipe : Pasolini tente à nous montrer le lien mère-fils qui est incontestable. Serait-ce une universalisation de la théorie de Freud que Pasolini affiche ici ? On pourrait se dire que Pasolini a souhaité expliquer que tous les enfants du monde vivent ce complexe, et dans le même cas, il s’y inclut. 

Pour conclure, la peste chez Sophocle et Pasolini est un élément particulièrement important de l’histoire. Il est un lien directeur puisque tout d’abord, le tragique s’installe avec la peste dans les deux œuvres. Elle permet également de connecter la dimension divine à la dimension humaine et ainsi de faire le lien avec le destin d’Œdipe affligé par les dieux. Enfin, la peste est une métaphore d’Œdipe puisque l’on crée un parallèle entre la maladie et la souillure incestueuse dont il est au cœur de l’histoire.

Lauren C.

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