vendredi 9 décembre 2016

"Cito, longe fugeas et tarde redeas" - Hippocrate



Sophocle 
Pasolini

La peste, de son étymologie "pestis" vient du latin qui signifie littéralement "maladie contagieuse". Une maladie étant considérée comme extrêmement pathogène, commune aux hommes et aux animaux. Longtemps cette épidémie aura été sujette à de nombreux traumatismes puisque durant certaines périodes de l'histoire elle aura décimé des populations entières. Elle est donc de par son essence mortifère et tragique. Mais ce terme de la peste ne désigne pas seulement la maladie en tant que tel car dans l'Antiquité ce terme peut s'appliquer à des événements catastrophiques s’abattant sur la cité. Ce qui explique sans doute comme l'a souligné Diélia dans sa dissertation que la peste soit devenue un motif littéraire: "On peux dire que la peste est un fléau, devenu vite synonymes des différents fléaux du monde dans la littérature comme dans La peste d'Albert Camus." Une peste symbolisant des fléaux de nature divers comme par exemple la guerre, le nazisme/fascisme etc.



Tout d'abord, notons que la peste détient une place importante dans les deux œuvres. Elle va cependant différer dans sa symbolique et dans son placement. En effet la pièce de Sophocle va s'ouvrir sur la peste accentué par les plaintes du grand prêtre et du chœur qui vont s'en remettre à Œdipe afin qu'une seconde fois, il fasse appel à son génie qui était parvenu à bout de l'énigme de la Sphinge et qu'il libère la cité du fléau qui s'est abattu sur Thèbes: "Il t'a suffit d'entrer jadis dans cette ville de Cadmos pour la libéré du tribut qu'elle payait alors à l'horrible Chanteuse." - Le prêtre dans le prologue, page 12. Chez Sophocle, la peste est synonyme de stérilité; infertilité des femmes, des animaux et des champs: "La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie" - Le prêtre dans le prologue, page 12. A cela s'ajoute un fléau d'origine divine puisque le chœur dira dans le prologue "Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste s'est abattue sur nous." Ainsi le dramaturge va installer le tragique dans sa pièce à travers la matérialité des mots qui va permettre au spectateur de visualiser l'horreur de cette peste. On constate alors que dans la pièce, la peste n'est pas montrée mais dite. 

Cependant chez le cinéaste, le fléau est représenté dans toute son horreur visuelle, on ne parle plus alors de matérialité des mots mais plutôt de matérialité des images. La peste apparaît presque au milieu du film à 00:53:10 d'où la différence de placement que j'évoquais tout à l'heure puisque chez le dramaturge, la pièce s'ouvre sur l'évocation de cette peste. Pasolini nous fait découvrir cette horreur à travers plusieurs gros plans de la caméra sur les cadavres décomposés, les mouches, suivi d'un plan de demi-ensemble laissant apparaître un bébé en pleurs survolé par des vautours et des corbeaux. Et afin de nous faire comprendre que la peste est le résultat de la souillure qui découle du parricide et de l'inceste, Pasolini va entreposer les scènes nuptiales d'Œdipe et Jocaste suivi des gros plans sur les cadavres et vice versa. On passe de la nuit de noce entre Jocaste et Œdipe à la vision d'un pestiféré mort (00:53:10). A 01:01:22, Les chants funèbres, les pleurs plaintifs des femmes et les lamentations le tout entouré d'un décor ocre et asséché sous un soleil ardant contribue à témoigner de l'ampleur des ravages.


De ce milieu macabre découle une peste au service du spectaculaire dans le film de Pasolini. La caméra s'attarde sur les nombreux cadavres mais aussi des plaies béantes que les jonchent, accentué par la bande son d'où l'on peut entre les chants plaintifs, funèbres, les pleurs qui sont en voix off. Vers la fin de cette scène, durant la procession mortuaire, la bande son est suivi du bruit du vent et du crépitement du feu. Un crépitement du feu qui peut être associé au traitement de la peste durant le moyen age qui consistait à brûler les hérétiques. Pasolini continue dans sa démarche d’illustrer la peste en tant que fonction dramatique en orientant la caméra vers un voleur qui détrousse le cadavre renchérissant ainsi la dimension spectaculaire de la scène.

Tandis que chez Sophocle à cette fonction tout aussi dramatique que chez Pasolini vient s'ajouter la dimension religieuse et divine. Une dimension qui illustre la forte relation entre les hommes et les dieux puisque les Thébains travaillent à chercher le soutien des dieux car dans le prologue il est question d’attitudes suppliantes, "de rameaux", "d’encens", "de péans mêlés de plaintes", autant d’éléments qui renvoient au rite religieux. Dans le Parados, le chœur mentionne le "dieu de Délos, dieu guérisseur" qui est un des attribut traditionnel d'Apollon. Un peu plus tôt dans le Prologue, le prêtre parlera d'une "déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes"  Pourquoi ? Car cette peste est considéré comme un châtiment des dieux. Bien qu'elle soit accueillie  avec une certaine apathie, le prêtre de Zeus et le chœur s'en remettent à Œdipe afin de les libérer de ce fléau. Ce dernier va alors se charger personnellement de l’enquête afin de tenter de sauver une nouvelle fois la cité: "Eh bien ! je reprendrai l'affaire à son début et l'éclaircirai, moi." - Œdipe dans le prologue, page 18. Cette peste est alors le déclencheur de l'intrigue et va ainsi mettre en place la machine infernale tragique.



On en conclut donc que dans la tragédie d'Œdipe roi, la peste est synonyme de souillure et de catharsis. Alors que chez Sophocle elle est l'élément qui débute la pièce et qui ouvre l'intrigue, chez Pasolini elle va apparaître presque au milieu du film afin de faire le lien avec la souillure qui est à l'origine de ce fléau qui s'est abattu sur Thèbes. Chacun des deux artistes vont contribuer à mettre en avant sa dimension dramatique et diégétique avec un style et une technique propre à leur art. Pour ce qui est d'Œdipe qui n'est autre le miasme de ce fléau, il aurait certes mieux fait d'adopter la devise donnée par Hippocrate: "Cito Longue Tarde" qui se traduit littéralement par: "Pars vite et reviens tard" car quand il y a semeur, il y a vecteur.



Ruddy LIMA EVORA

1 commentaire:

  1. Bravo ! C'est un excellent travail ! Il manque toutefois toute la troisième partie sur la représentation de la peste comme métaphore d'Oedipe.

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