dimanche 19 mars 2017

Une mise en abyme c'est une mise en abyme dans une mise en abyme dans une mise en abyme dans une mise en abyme...

Les Faux-Monnayeurs est la première oeuvre d'André Gide qu'il cesse de qualifier de "récit" ou de "sotie" et qui va bousculer les règles romanesques de l'époque. La construction de son roman est très complexe et bien loin de la narration linéaire classique. Les genres narratifs du roman sont, par ailleurs, multiples : journal intime, correspondances épistolaires, commentaires… Il arrive même que l’auteur s’adresse directement au lecteur. La narration est ainsi fondée sur une ambiguïté constante. Ainsi, de par cette complexité Gide cherche à libérer la littérature de son cocon narratif pour faire du roman une oeuvre d'art créatrice. Et de son oeuvre d'art, un artifice en particulier va être retenu: La mise en abyme.

Largement utilisée depuis Homère (lors du récit d'Ulysse au cœur de l'Odyssée), la mise en abyme qui est un procédé littéraire qui consiste à représenter dans un récit une réflexion ou une représentation du récit lui-même, tient sa définition d’André Gide qui je pense serait bon de préciser n'a pas inventé le procédé mais y a plutôt apporté une définition dans son journal intime. Et c'est justement avec Les Faux-Monnayeurs que Gide va lui donner une extension considérable plus qu'il avait déjà fait usage de ce procédé auparavant. Nous allons donc tenter de savoir pourquoi peut-on parler de mise en abyme à propos des Faux-Monnayeurs ?



Si le procédé intéresse notre auteur c'est parce-que il répond à son besoin paradoxale de montrer tout en cachant une certaine réalité. De ce fait le procédé permet de mettre à distance toute tentation de trouver à l'intérieur de son oeuvre une vérité immuable. Le lecteur prend alors conscience d’être au cœur d'une oeuvre d'art, une oeuvre factice qui a été construite de bout en bout et soigneusement élaborée. Nous pouvons alors nous demander si Les Faux-Monnayeurs sont un exemple phare de ce procédé ? Le texte se présente comme la conjugaison de deux discours : celui du narrateur et celui d’un personnage principal, le romancier et l’intrigue ainsi menée est sans cesse doublée par le journal d’Édouard qui livre là ses réflexions littéraires, ses doutes, son ambition de renouveler le roman, mais Édouard est lui-même sous le regard du romancier qui porte un jugement sur ses personnages. D'où la présence d'une double forme de mise en abyme: Au sens large et au sens restreint.  En une véritable spirale, Gide crée donc à la fois une fiction et « un discours sur la création de cette fiction ».


Dans la première partie du roman: à Paris, l’incipit répond à l’énigme proposée par le titre en fournissant trois indices. Mais de ces trois indices c'est l’aphorisme de Bernard: « Ça joue la larme, pensa-t-il. Mais mieux vaut suer que de pleurer »  qui prend le titre au sens symbolique de la fausseté des sentiments, et constitue le tout premier cas de mise en abyme du roman. À la lecture du roman, on se rend compte que c'est le journal qu'écrit Édouard qui a la fonction principale de mettre en abyme le récit. Ce journal correspond donc à un tiers  du roman, ce qui est très important. Il propose surtout des réflexions sur : le roman pur, le jugement du lecteur, le passage du temps et son lien avec le genre romanesque.
Il s'agit de réflexions menées par André Gide lui-même dans Journal des Faux-Monnayeurs. Et à propos du jugement du lecteur, Gide dira: «Tant pis pour le lecteur paresseux: j'en veux d'autres. Inquiéter tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu'on le rassure. Il en est dont c'est le métier. Il n'en est que trop« (JFM, II, 29). Le roman traite donc d'un écrivain qui s'inspire de la réalité pour écrire un roman qui s'appelle Les Faux-Monnayeurs : la mise en abyme est indéniable. André Gide traite de la création romanesque elle-même.


Il est toutefois d’autres éléments qui relèvent de la mise en abyme qu’il ne faudrait pas négliger dans une étude précise de ce procédé. Mais restons-en à sa forme principale : «Je suis comme un musicien qui cherche à juxtaposer et imbriquer, à la manière de César Franck, un motif d’andante et un motif d’allegro.» (JFM, page: 14). Puis on lira dans le journal d'Edouard: «Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c’est quelque chose qui serait comme l’Art de la fugue. Et je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique, serait impossible en littérature...» Ici dans le thème du roman et de la musique, on peut voir que Gide expose dans le Journal des Faux-Monnayeurs une idée que Edouard va lui développer dans son roman. Mais pas seulement puisque cela se reproduit pour plusieurs autres thèmes comme: le roman et l'histoire, la bâtardise et la liberté morale, la cristallisation et plus encore. Toutes choses bien considérées, on ne peut que constater l’importance du miroir pour Gide qu’on a déjà vu comme métaphore à propos du carnet d’Édouard. Miroir certes mais miroir de biais puisque on n'a pas juste affaire à une duplication (forme brut si je puis dire de la mise en abyme) mais à des décalages lorsqu'il reproduit à l'échelle romanesque le procédé.



On en conclut donc que la construction entière du roman repose sur une mise en abyme et Les Faux-Monnayeurs sont un exemple phare de ce procédé. Ce qui en fait une sorte de mode d’emploi de la transformation du réel en fiction, que ce soit principalement dans le journal d’Édouard, dans son carnet mais aussi dans ses discussions, en particulier la conversation que tient Édouard avec Laura et Mme Sophroniska. De même, nous avons là une composition complexe du roman reposant sur une multitudes d'intrigues et de voix (polyphonie) qui aux premiers abords peut "embrumer" le lecteur mais qui grâce à la mise en abyme apporte un éclairage suffisant sur les objectifs de l'auteur vis-à-vis de son oeuvre, révélant ainsi sans conteste la part du génie de l'auteur. 




Ruddy LIMA EVORA

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