jeudi 16 mars 2017

Il était une fois, l'histoire d'une histoire...

La mise en abyme est un procédé littéraire emprunté à la peinture. C’est comme s’il y avait un tableau qui reflète un peintre qui peint un tableau, etc. Le thème de la mise en abîme parcourt le roman Les Faux-Monnayeurs d’André Gide tout au long de l’histoire. En effet, il s’agit du procédé par lequel Gide s’est particulièrement basé pour la raconter. Une petite exception : le romancier n’évoque pas la mise en abîme dans son Journal des Faux Monnayeurs mais uniquement dans son Journal. Ainsi, en lisant son journal comme s’il s’agissait d’une ébauche de l’histoire, le lecteur éclaire sa lecture du roman et comprend qu’il s’agit d’un écrivain racontant l’histoire d’un écrivain qui écrit lui-même un roman.
De ce fait, pourquoi peut-on parler de mise en abîme à propos des Faux Monnayeurs ?
Nous verrons dans un premier temps en quoi André Gide fait-il lui-même partie de cette mise en abîme. Puis, dans un second temps, nous analyserons en quoi la réalité (donc le Journal) est-il un appui pour faire ressortir cette mise en abîme.

Tout d’abord, nous avons l’impression que le Romancier qu’incarne le personnage d'Édouard est à l’image réelle du personnage d’André Gide. Ils partagent en effet la même vision sur l'écriture puisque Gide affirme dans son Journal des Faux-Monnayeurs la création de tous ses personnages à partir de l'observation de sa propre personne : « Ce qui manque à chacun de mes héros, que j'ai taillés dans ma chair même, c'est ce peu de bon sens qui me retient de pousser aussi loin qu'eux leurs folies » (p.82). De ce fait, on comprend qu'à travers les personnages qu'invente Gide, se reflètent toutes les observations, thèses, idées qu’il se donne du monde des humains qui l’entourent.
Egalement, on remarque qu'il existe une « mise en abîme » du romancier). En effet, nous avons affaire ici à une double mise en abîme : André Gide raconte l’histoire d’un personnage qui s’appelle Edouard qui écrit lui aussi son roman dont le personnage principal est aussi un romancier : il s’agit donc de trois romanciers. Plus précisément, comme il le dit à la page 188, Edouard écrit lui aussi un livre intitulé Les faux-monnayeurs. On a donc la rédaction d'un roman fictif, c’est-à-dire, que l’auteur du livre raconte l’histoire d’un personnage qui écrit un roman. Donc nous avons un roman dans un roman, et donc encore une fois, une mise en abîme. Dans certains passages, nous remarquons que les idées d’Edouard se rejoignent avec celles d’André Gide ; nous avons même l’impression que l’auteur a fait cela exprès afin de mettre en avant la mise en abîme de sa propre personne. Par ailleurs, plusieurs éléments qu’il expose dans Le journal des Faux-Monnayeurs sont retranscrits dans le roman et font également office de mise en abîme. Par exemple, dans son Journal, il raconte sa rencontre avec un lycéen scolarisé à Henri IV et qui vole un livre. On fait alors directement le lien avec la rencontre entre Edouard et Georges, son neveu. En retranscrivant des faits de sa vie, n’écrit-il pas un roman autobiographique, dans un sens ?
Egalement, Gide explicite dans son Journal tout ce qu'il a l’intention de faire dans le roman. Nous pouvons noter quelques exemples : « 1, Artistiques d'abord : le problème du livre sera exposé par une méditation d'Edouard. 3, Morales : l'insubordination de l'enfant ; refus des parents (qui reprendront à ce sujet le sophisme de l'Angleterre vis-à-vis de l'Egypte ou de l’Irlande : si on leur laissait cette liberté́ qu'ils réclament, ils seraient les premiers à s'en repentir, etc.) ». De cette façon, il est notable que tous ces éléments ne soient pas fidèlement reproduits. On retrouve bien dans le roman de Gide le fait qu'Edouard expose des méditations. On retrouve aussi l'insubordination de l'enfant qui Gide évoque, vis-à-vis de ses parents, à travers la fugue de Bernard. Et son retour chez ses parents met en avant la victoire du devoir de l'enfant à accepter l'éducation des parents.

Ensuite, il est notable que par rejet ou par appui, la réalité nourrit André Gide pour écrire son roman. En effet, l’écrivain abandonne à de nombreuses reprises des réflexions qu’il a menées et dans son journal. Le journal est alors un moyen de tester des idées qui constitueront un moteur pour réinventer autre chose ensuite dans le vrai roman. En d’autres termes, Gide a laissé de côté de nombreuses pistes qui étaient écrites dans son Journal et que l’on ne retrouve plus dans le roman. Par exemple, il avait évoqué la présence d’une femme qui se serait « fait enlever » (p.14), mais n’apparait pas dans le roman. Egalement, Gide a évoqué la présence d’un personnage (p.26) : « Lafcadio occuperait le premier livre ; le second livre pourrait être le carnet de notes d'Edouard... ». Mais à aucun moment nous entendons parler de ce personnage. Qui est ce Lafcadio ? Il est le personnage principal des Caves du Vatican, roman écrit avant Les Faux-Monnayeurs. Un moment, Gide se demande s’il va toujours faire apparaître ce personnage dans le roman : « puis-je représenter toute l'action de mon livre en fonction de Lafcadio ? » (p.26).
Gide a conservé́ de nombreuses idées et aussi en a abandonné́ d'autres. Il a transformé́ certains éléments qu'il voyait dans son travail préparatoire comme des éléments importants et parfois n'en a conservé́ que certains détails. Par exemple, certains personnages ont été́ abandonnés au cours de la rédaction comme Lafcadio : « J'hésite depuis deux jours si je ne ferai pas Lafcadio raconter mon roman. » Pourtant, à aucun moment nous entendons parler de ce personnage dans le roman. Sauf à la page 39, où Gide écrit que Lafcadio « a rendu toutes ses lettres » à Edouard. Nous avons l’impression que cette anecdote reflète celle avec Bernard, lorsqu’il rend la valise à Edouard. On a également l’impression que le personnage de Vincent est beaucoup plus détaillé dans sa description dans le Journal que dans le roman. En effet, nous avons à la page 70 : « Vincent se croit devenir le diable. Et c’est quand tout lui réussit le plus qu’il se sent le plus perdu. Il voulait avertir son frère Olivier, et tout ce qu’il tente pour le sauver tourne au drame d’Olivier et à son profit propre. ». De ce fait, grâce à cette description nous avons plus de détails sur la personnalité du personnage que dans Les Faux-Monnayeurs : on en apprend beaucoup plus sur sa personnalité et ses intentions dans le Journal. De ce fait, le Journal complète le roman et éclaire certains passages. Il est une forme de guide pour mieux comprendre la psychologie de l’histoire et les choix du romancier.


Pour conclure, nous pouvons dire que le roman des Faux-Monnayeurs propose une double mise en abîme, c’est-à-dire, le roman d’un écrivain dans le roman d’un écrivain. André Gide n’évoque cependant pas cette mise en abîme dans Le Journal des Faux-Monnayeurs mais bien dans son Journal. C’est pourtant grâce à cette rupture des deux écrits que nous comprenons la mise en abîme, puisque le Journal fonctionne comme un brouillon qui nous permet de mieux nous orienter par rapport à l’histoire dans l’histoire. C’est en effet, à travers et surtout, le personnage d’Edouard, romancier écrivant l’histoire des Faux-Monnayeurs, que nous réalisons l’identité personnelle qu’André Gide a donné à son personnage principal.

Lauren.C

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