Les
Tricheurs de Caravage est une huile sur toile de 94 x 131 cm qui est à ce jour
exposé au musée d’art Kimbell à Forth Worth aux Etats-Unis. Pour la petite
histoire, Michelangelo Merisi da Carvaggio dit en français Le Caravage, est
l’un des maitres incontestable du baroque italien. Pénétré de foi chrétienne,
cet artiste est connu et apprécié de ses scènes religieuses et historiques
traditionnelles. Mais si il plait dans la bonne société de son époque c’est
parce-que en dehors de ses tableaux religieux et profanes, il s’adonne à des
scènes d’un nouveau type : les scènes de genre qui sont des touchantes
représentations de la vie sociale de son temps dont Les Tricheurs sont le
parfait exemple.
Si on se concentre
un peu mieux sur le tableau, il s’agit d’une scène relativement banale montrant
un groupe de trois hommes qui jouent aux cartes. Mais cette vision du quotidien
est plus profonde et ambigüe si on prend la peine de l’observer attentivement. Il
est facile de voir que ce groupe se divise en deux : le jeune homme et les
deux complices. Cette division s’opère dans les détails et les attitudes. Le
jeune noble à la posture mesuré s’oppose aux deux tricheurs qui mènent une vie
de misère comme le laisse suggérer le gant troué du plus vieux, dangereuse
comme le montre la dague du plus jeune. Les deux complices tentent de soutirer de
l’argent au jeune noble comme le montre la coupelle vide sur la table. De plus
le plus jeune compère cache dans son dos la carte avec le chiffre du
diable : le numéro 6. Derrière tout ça se cache un message de moral
puisque pour peindre des scènes du quotidien il fallait qu’elle donne une leçon
hautement louable.
Tant
d’éléments ci-présents dans ce tableau qui rejoignent certaines thématiques des
Faux-monnayeurs, comme l’argent, le diable, les fausses valeurs, le mensonge ou
encore les faux semblants. Tant de vices et de symboliques qui se côtoient dans
le monde des faux-monnayeurs, ce qui en fait un portrait chinois idéal. L’argent
a tendance à être bien souvent représenté comme le symbole de nos relations
sociales et n’est-ce pas le cas ? Dans son roman, André Gide se sert du
concept de «l’argent » pour en expliquer toute l’étymologie. Pour ne pas
dire le nerf de la guerre, l’argent est un nerf de la société et il peut se
présenter sous différentes formes. La fausse monnaie est un moyen de désigner
l’hypocrisie d’une société qui repose sur une fraude morale, sentimentale,
psychologique. Chacun en cherchant à paraître ce qu’il n’est pas, veut donner
le change à autrui. Tout, autour des personnages, devient relatif : c’est la dévalorisation,
l’inflation, les idées de change, bref c’est la société ! Une société qui
bizarrement ressemble beaucoup à la notre. Peut-on alors parler d’une œuvre
visionnaire toujours d’actualité ? A mon sens bien évidemment que oui.
Mais cela
est sans compter les fausses valeurs qui
sont elles aussi présentes chez les faux-monnayeurs. Que peut-on faire dans un
monde où les valeurs traditionnelles sont niées, où l’on ne peut différencier
le vrai du faux ? La référence obsédante à l’argent qui se traduit dans le
roman par la circulation des fausses pièces d’or renvoie symboliquement à la crise des valeurs
philosophiques, éthiques et esthétiques. La révolte contre la famille en
montrant le mensonge, l’adultère, la morale religieuse avec les Vedel qui
finalement entraîne la démythification des sentiments. Quant à la quête de
l’amitié, elle anime les personnages des Faux-monnayeurs afin de se libérer des
liens du sang et de contester l’ordre naturel et social, c’est l’éthique de
l’amitié face aux valeurs. La justice est partiale, la famille et le mariage ne
sont que tromperie et mensonge, l’éducation ressemble aux murs de l’institut
(défraîchis), la religion se réduit à des pratiques dépourvues de sens et les
gens passent le plus de temps à se mentir et à mentir aux autres.
Tel est le
monde des Faux-monnayeurs, un monde où il est courant d’écouter aux portes et
de rapporter ensuite ce qu’on a surpris. Un monde où l’abondance du mensonge et
des faux semblants semble les seules valeurs valables, un monde où l’on ne
serait capable de différencier l’authentique du falsifié. A l’instar de Da
Carvaggio, André Gide nous plonge dans un univers de tricheurs qui ne se contente
pas seulement de tricher dans le jeu mais de tricher avec les sentiments, avec
l’argent, avec la famille, avec les amis, avec eux-mêmes. Et si alors aux
premiers abords le titre parait trompeur et même n’avoir aucun lien avec le
livre, les faux-monnayeurs, loin d’être absent du roman sont partout présents…
C'est un travail très bien argumenté. Bravo !
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