vendredi 24 mars 2017


L’ange et le démon

André Gide, lors d’une conférence sur Dostoïevski, formule un proverbe au sujet de la création romanesque : « Il n'y a pas d'œuvre d'art sans collaboration du démon. Oui, vraiment, toute œuvre d'art est un lieu de contact, ou, si vous préférez, est un anneau de mariage du ciel et de l'enfer ».
Le terme de démon dans l’œuvre de Gide va donc recouvrir de nombreux sens que l’on peut trouver depuis le démon au sens grec de « daimôn » au démon, l’ange déchu, révolté contre Dieu, et dans lequel repose l'esprit du mal, avec toute la mythologie du Diable et de Satan, le prince des démons.
Quant à lui, l’ange n’est pas très présent.
Nous étudierons la place de l’ange et du démon dans l’œuvre de Gide, «Les Faux-Monnayeurs ».
Dans le Journal des Faux-Monnayeurs, il écrit que le sujet central du livre pourrait bien être le traité de la non-existence du diable. L'apparition récurrente d'anges et de démons dans le livre n'est donc pas anodine, et sa signification est complexe.
Ils apparaissent comme de véritables personnages, mais semblent aussi les envoyés de Dieu ou du diable, tandis que La Pérouse suggère que l'ange et le démon ne sont que les visages opposés de la même entité divine. Mais peut-être qu’ils sont, pour Gide, la manière de rendre plus clairement la lutte intérieure entre le bien et le mal de ses personnages.

Comment le thème du diable et de l'ange apparaît-il dans l'œuvre d'André Gide ?

Insensiblement, nous sommes passés de la puissance démonique du romancier tel que se veut André Gide. D’autres le nomment « un démoniaque dynamique », à la puissance du démon, la force diabolique, ou encore le « démoniaque satanique ».

Tous les aveuglements des personnages peuvent trouver leur explication dans la puissance invisible du Diable.
À la fin de la deuxième partie (chapitre VII), le romancier s’attarde à juger ses personnages et il commence par Édouard : « Je crains qu’en confiant le petit Boris aux Azaïs, Édouard ne commette une imprudence. […] À quels sophismes prête-t-il l’oreille ? Le diable assurément les lui souffle, car il ne les écouterait pas, venus d’autrui. » (15)

Voilà donc Édouard, victime du diable ; il est l’exemple le mieux approprié pour nous faire comprendre la méthode démoniaque. « Ce qui ne me plaît pas chez Édouard, ce sont les raisons qu’il se donne. Pourquoi cherche-t-il à se persuader, à présent, qu’il conspire au bien de Boris ? Mentir aux autres, passe encore ; mais à soi-même ! Le torrent qui noie un enfant prétend-il lui porter à boire ?... Je ne nie pas qu’il y ait, de par le monde, des actions nobles, généreuses, et même désintéressées ; je dis seulement que derrière le plus beau motif, souvent se cache un diable habile et qui sait tirer gain de ce qu’on croyait lui ravir. »

La première rencontre se fait dès la première page, à propos de Bernard, " La famille respectait sa solitude, le démon pas. ". Déjà il apparaît comme un sujet important qui influence les personnages. On l’oublie, puis il réapparaît avec Vincent, travaillé par sa conscience, à propos de l'argent qu'il se doit de donner à Laura. Vincent est la victime du démon. Le diable est un personnage à part entière qui apparaît dans le dos de Vincent, d'Olivier ou même d'Édouard, quand il envoie Boris à la pension Vedel.

Il en est de même pour l'ange qui se manifeste à Bernard, discute avec lui, se promène avec lui, lutte avec lui. L'ange d'ailleurs «se détourne pour pleurer ». L'ange est fait d'une enveloppe matérielle. Même s'il approche «d'un pied si léger qu'on sentait qu'il eût pu se poser sur les flots ». Quant à elle,  Bronja, voit les anges, non pas d'une manière épisodique, mais plutôt parce qu'elle fait déjà partie d'un autre monde.

L'intérêt principal est de souligner un des aspects du caractère du personnage: le démon inspire Vincent puis le confie au «démon de l'ennui », il distrait Bernard et le confie au «démon de l'aventure ». Il le souligne dans le Journal des Faux-Monnayeurs dans «ce qui peut m'aider à dessiner un personnage » : «Je voudrais un (le diable) qui circulerait incognito à travers tout le livre et dont la réalité s'affirmerait d'autant plus qu'on croirait moins en lui ».

Pour l'ange, seuls Bronja et Bernard sont capables de le voir - et Bernard ne le voit que lorsque l'ange le décide - ; quant au jeune Boris, il essaye désespérément de " voir les anges ". L'ange qui visite Bernard vient lui rappeler qu'il est temps pour lui de faire un choix. L'ange alors semble «tenter » Bernard, comme le ferais un ange.

Pour Vincent, le démon « auquel il ne croit pas » lui fait transformer la réalité : il lui fait croire « que sa lâcheté dans ses relations avec Laura était en fait la victoire de sa volonté contre ses instincts affectifs ».
Ange et démon ne sont pas opposés de façon simpliste. On peut penser que Gide pense au Livre de Job quand La Pérouse déclare que  « le diable et le bon Dieu ne font qu'un », car tous deux déchirent les hommes. « Dieu m'a roulé, il s'amuse. Il nous envoie des tentations auxquelles il sait que nous ne pouvons pas résister ; et quand nous résistons, il se venge plus encore. C'est ici un dieu méchant. A ses serviteurs mêmes, Dieu ne fait pas confiance et il convainc ses anges d'égarement. »

On peut tenter de rechercher enfin la réelle symbolique qu'ils représentent.
Ils apparaissent quand les personnages sont dans le doute et sont aux prises avec leur conscience. Une fois la conscience de Vincent éteinte, tous les démons pourront s'emparer de son âme : démon du jeu, démon de l'ennui, démon de la folie. Pour Bronja, si l'on suit le raisonnement de sa mère, elle a créé ses anges pour vivre avec eux. Ils sont dans son seul esprit, où Boris ne peut les rejoindre. De même Bernard conduit l'ange dans sa chambre, mais il est le seul à le voir. Nous avons un combat intérieur. Boris se trouve exclu et renvoyé à sa solitude.
Les personnages de l'ange et du démon deviennent des personnifications du bien et du mal ; leur apparition souligne les conflits.

Enfin, l’ange et le démon deviennent les doubles des personnages qu'ils habitent, et apparaissent précisément dans les moments de crise.

Nova SAMB

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