vendredi 24 mars 2017

La pureté contre la perversité

Le thème du diable est présent tout au long du roman, comme un contre-point à la religion et au puritanisme qui parcourent les Faux-Monnayeurs. Il constitue d'ailleurs les ultimes propos de La Pérouse rapportés par le Journal d'Edouard dans le dernier chapitre (III, 18), et le sujet du dernier chapitre du Journal, titré "Identification du démon" (Journal, p.123-127).

Le mal est omniprésent dans l'oeuvre. Bâtardise, affaire de moeurs, trahison amoureuse, trahison filiale, tentation financière, immoralisme, vol, manipulation, trafic de fausse monnaie, cruauté mentale, suicide, meurtre : chaque chapitre apporte un élément nouveau dans cette accumulation de "crimes". Vincent, assassin devenu fou , "se croit possédé par le diable; ou plutôt il se croit le diable lui-même" ( page 361). Il est vrai que le titre, Les Faux Monnayeurs, annonce cette présence du Mal explicitement, mais la surprise vient de ce que les plus jeunes, comme Ghéridanisol ou Georges, paraissent les plus nuisibles.
"J'en voudrais un (le diable) qui circulerait incognito à travers tout le livre et dont la réalité s'affirmerait d'autant plus qu'on croirait moins en lui." (Journal, page 37). Cette affirmation de Gide semble s'appliquer exactement au personnage de Strouvilhou : il est très peu présent "physiquement" mais il est toujours question de lui dès qu'une action répréhensible et immorale est envisagée, assisté par son neveu et disciple, Léon Guéridanisol. Il est à l'origine du trafic de fausse monnaie à Paris ( III, 5), à Saas-Fée il s'est fait remettre le "talisman" de Boris (II,5) pour faire exercer sur lui à la pension une manipulation perverse par les enfants.

Mais l'angélisme existe aussi dans le roman. Ainsi, la pureté de Bronja lui permet de voir les anges (page 336) selon Boris; quant à Bernard, il en voit un au jardin du Luxembourg et il le suit : "Il ne croyait à aucun dieu, de sorte qu'il ne pouvait prier; mais son coeur était envahi d'un amoureux besoin de don, de sacrifice; il s'offrait." (page 332). Sa nuit se passe à lutter avec lui.
Boris, lui, peut être compris comme une incarnation angélique, offert en sacrifice à la perversité du monde.

Les deux faces de la morale sont incarnées dans le roman par des couples de personnages antithétiques , représentant le Mal et le Bien : Georges contre Boris ( deux personnages opposés, l'un incarne le vice et l'autre la pureté; Georges participe aux trois "affaires" de l'intrigue : l'affaire de moeurs, le trafic de fausse monnaie et le suicide de Boris. Il a de plus subtilisé les lettres compromettantes de son père. Mais le dénouement laisse espérer son amendement, quand il se jette dans les bras de sa mère après la mort de Boris) , Armand contre Bernard, Passavant contre Edouard, Lilian contre Laura, les personnages du roman peuvent ainsi être appariés sur leur opposition morale, contrairement au principe énoncé dans le Journal : "Il n'est pas bon d'opposer un personnage à un autre, ou de faire des pendants (déplorables procédés des romantiques)." (Journal, page 15).

Blanche MINON

2 commentaires:

  1. C'est un excellent travail, illustré de nombreux exemples du roman. Bravo !

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  2. Il aurait fallu toutefois approfondir davantage l'ensemble de l'écrit. Poursuivez ainsi !

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