La présence du diable et de l'ange dans Les Faux-monnayeurs.
Lorsqu’on lit Les Faux-monnayeurs d’André Gide, on remarque des apparitions récurrentes d'anges et de démons dans le livre, qui renvoient à une lutte entre le bien et le mal des personnages. Cependant, anges et démons ne sont pas opposés de façon simpliste. En effet, leur signification est complexe. On ne sait pas s’ils sont de véritables personnages, ou s’ils sont des êtres qui viennent de « l’au-delà » comme des sortes d’envoyés par Dieu (pour les anges) ou le diable (pour les démons). Comment le thème du diable et de l'ange apparaît-il donc dans l'œuvre d'André Gide ? Afin de répondre à cette question, nous étudierons d’abord les nombreuses facette de la présence du diable, ensuite la présence de l'ange et sa remise en question.
Dans sa sixième conférence sur
Dostoïevski, André Gide nous dit qu’ « Il n'y a pas d'œuvre d'art sans participation
démoniaque. » Il le souligne dans Le
Journal des Faux-Monnayeurs, il dit que dans « ce qui peut m'aider à
dessiner un personnage » : « Je voudrais un (le diable) qui
circulerait incognito à travers tout le livre et dont la réalité s'affirmerait
d'autant plus qu'on croirait moins en lui.» En effet, dans Les
Faux-monnayeurs on remarque rapidement une présence du diable, qui apparaît
comme un sujet actif qui influe
sur les personnages. Il est mentionné dès la première page, à propos de Bernard
« La famille respectait sa solitude, le démon pas. » Mais le
personnage le plus touché par la présence du diable, n’est nul autre que
Vincent. C’est une victime de choix pour le diable « amusé ».
Ce dernier succombe petit à petit au diable, et tombe dans le mal finissant par tuer Lady Griffith. Au début du roman, Vincent est personnage
innocent qui a une affaire avec la jeune Laura, cependant celle-ci était déjà mariée. C’est lorsque
qu'elle tombe enceinte, que Vincent va commencer à changer. Tout d’abord,
il est tiraillé par sa conscience à propos de l'argent qu'il se doit de verser
à Laura pour l’aider avec sa
grossesse, mais il finit par tout perdre dans un jeu d'argent. Le jeu représente le diable, c’est une
tentation à laquelle Vincent cède rapidement et
c’est ainsi qu’il emprunte la route du mal. Il va laisser la jeune femme enceinte toute seule,
sans argent, malgré les supplications de cette dernière. Vincent fait donc
partie des personnages qui sont tombés dans le piège du diable. Le démon lui à
fait croire « que sa lâcheté dans ses relations avec Laura était en faite
une victoire contre ses instincts affectifs. » Lady Griffith et Passavant peuvent ainsi être
présentés comme les deux " démons " de Vincent, car c’est eux qui lui
ont appris la facilité de l'argent, qui a d’ailleurs une force corruptrice dans
le roman. A travers le personnage de
Vincent, on comprend que le diable imaginé par Gide opère par sophisme, il
séduit sa victime par l’intelligence et non par les sens.
Mais Vincent n’est pas la seule victime du diable. Édouard l’est
également, et il est d’ailleurs le meilleur exemple pour nous faire comprendre la
méthode démoniaque. Édouard apparaît tout d’abord comme le mauvais ange de Boris
« Je crains qu’en confiant le petit Boris aux Azaïs, Édouard ne commette
une imprudence. […] À quels sophismes prête-t-il l’oreille ? Le diable
assurément les lui souffle, car il ne les écouterait pas, venus d’autrui. »
Pourtant, Édouard se persuade qu’il conspire au bien de Boris. N. David Keypour
explique cela : « Je ne nie pas qu’il y ait, de par
le monde, des actions nobles, généreuses, et même désintéressées ; je dis
seulement que derrière le plus beau motif, souvent se cache un diable habile et
qui sait tirer gain de ce qu’on croyait lui ravir. » Autrement dit, Edouard
est sous l’emprise du diable lorsqu’il envoie Boris à la pension Vedel, mais il
se persuade de ne pas l’être. D’ailleurs, aucun acte ne semble être réellement bon chez
Édouard : il aide Laura à cacher sa grossesse alors que cette dernière est
mariée, il offre de l’argent à Rachel afin que la pension des Vedel-Azaïs
puisse continuer à enseigner, alors qu’il décrit péjorativement l’établissement
t, il est amoureux de son neveux… Tant d’actions qui illustrent une certaine
lutte entre le bien et le mal en Édouard. André Gide explique cela dans le 7ème
chapitre des Faux-monnayeurs en
disant que «Plus on le nie, plus on lui donne de réalité. Le diable s’affirme
dans notre négation. » L’aveuglement des
personnages peut donc trouver une explication dans la puissance invisible du diable.
C’est ainsi que la plupart des personnages du roman sont tôt
ou tard en contact avec le mal.
En effet, c’est
avec un grand étonnement que le lecteur voit les personnages les plus jeunes, comme
Georges et Ghéridanisol, sous l’emprise
du diable. Ces derniers font partis d’un trafic de fausses pièces et vont jusqu’à
pousser le petit Boris au meurtre. Leur jeune âge les aveugle, ils ignorent qu’ils
sont contrôlés par le diable. Cela illustre encore la théorie d’André Gide qui
prouve que c’est en niant le diable que ce dernier agit encore plus. D’autres personnages sont aussi des
instruments du démon : Passavant et Strouvilhou. Ils sont sources de mal
et représentent la tentation. Passavant est le mauvais ange d’Olivier, et
Strouvilhou est celui qui a pervertit le groupe d’adolescents. Ainsi, le
démon est bien l'incarnation du mal qui est dans chaque personnage, et qui
utilise les faiblesses des autres pour les dominer. La plus grande ruse du
Diable est donc de faire croire qu'il n'existe pas, pour mieux contrôler ses
victimes.
Benjamin Crémieux qualifie Les Faux-Monnayeurs de « roman diabolique où le Ciel et l’Enfer
luttent sans arrêt (40) ». C’est donc
évident qu’en plus du diable, il y a également un ange.
L’angélisme est un autre thème important du roman. L’ange,
ici, « fonde l’individu en sa lutte avec l’inconnu ». Dans Les
Faux-Monnayeurs, seuls Bronja et Bernard sont capables de voir l’ange. Bernard
devient mature suite à sa lutte avec l’angle : « Sa lutte avec l’ange
l’avait mûri. Il ne ressemblait déjà plus à l’insouciant voleur de valise qui
croyait qu’en ce monde il suffit d’oser. Il commençait à comprendre que le
bonheur d’autrui fait souvent les frais de l’audace. » L'ange s’est
manifesté à Bernard, a discuté avec lui,
s’est promène avec lui, et a lutté avec lui afin de le rendre bon ou meilleur. L'ange
mentionne auparavant qu'il est temps pour Bernard de faire un choix. Quant à Bronja, elle voit également les anges,
cependant elle semble appartenir à un autre monde. Elle apparaît comme l’ange
gardien de Boris. Elle le maintien dans l'espoir de la vie, et lorsqu’elle
meurt, Boris meurt à son tour plus tard. Par ailleurs, le petit Boris ne voit
pas les anges, mais il représente l’innocence tout au long du roman, une sorte d'incarnation angélique, cependant c'est sa naïveté qui va le conduire à la mort. Voilà
pourquoi sa mort est choquante.On peut donc comprendre la remise en question
sur le bien-fondé des interdits religieux par Gide.
« Le diable et le Bon Dieu ne font qu’un ; ils
s’entendent. Nous nous efforçons de croire que tout ce qu’il y a de mauvais sur
la terre vient du diable ; mais c’est parce qu’autrement nous ne trouverions
pas en nous la force de pardonner à Dieu », dit La Pérouse en s’adressant
à Édouard. On peut certes mettre ces propos
sur le compte découragement et du désespoir du vieillard, mais après
tout ce qu’il a vécu, on peut comprendre son point de vue. Ce dernier se sent
persécuté par dieu, et ne voit aucune différence entre dieu et satan. Dieu est
présenté comme un manipulateur et les Hommes sont ses jouets. L'ange et le
démon ne sont donc que les visages opposés de la même entité divine. André Gide propose ici une réflexion sur la
dualité ce qui est jugé être « le bien » et ce qu’est « le mal ».
Les personnages de l'ange et du démon deviennent des personnifications du bien
et du mal, leur apparition souligne les conflits présents dans le roman.
En somme, les anges et les démons apparaissent que dans les moments de crise. Ils guident les personnages soit vers le bien, soit vers le mal. C'est ainsi qu'on assiste à une lutte entre le bien et le mal, l'ange et le démon, Dieu et le Diable. Ils sont à la fois les doubles des personnages qu'ils habitent et en même temps une manifestation de la conscience des personnages. Par ailleurs, les personnages des Faux-monnayeurs sont à la fois les anges ou les démons pour chacun, on pourrait donc conclure qu'André Gide offre ici une réflexion sur une socièté divisé, dans laquelle le bien et le mal sont confondus, et les personnes sont perdues. Le titre Les FAUX- monnayeurs, souligne bien cette confusion. Les Hommes ne savent pas de quelle côté ils sont réellements, ou ils se cachent derrière le bien pour mal agir, et ainsi de suite. « La manière dont le monde des apparences s’impose à
nous et dont nous tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation
particulière, fait le drame de notre vie » dit André Gide dans Le Journal des Faux-monnayeurs.
C'est un excellent travail, bravo !
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