jeudi 16 mars 2017


La mise en abyme ? 

Gide n’a pas inventé le principe de mise en abyme mais y a apporté une définition qui désigne au sens large un récit second dans un récit cadre. Il redouble ainsi l’acte d’écriture. Gide y recourt dans plusieurs de ses œuvres précédentes, le concept n’est donc pas neuf.  Il veut ici donner un regard critique sur son écriture et d’une certaine façon donner de l’esthétique a son œuvre. Son œuvre est donc composée d’une narration très complexe.

Pourquoi peut on parler de mise en abyme par rapport aux faux monnayeurs ?



Gide veut « éviter à tout prix le simple récit impersonnel ».  Il exige l’effort du lecteur pour reconstituer un réel qui lui demeure caché : « Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés par ceux des acteurs sur qui ces événements auront quelque influence. Je voudrais que, dans le récit qu’ils en feront, ces événements apparaissent légèrement déformés ; une sorte d’intérêt vient, pour le lecteur, de ce seul fait qu’il ait à rétablir. L’histoire requiert sa collaboration pour se bien dessiner. »
Journal des Faux-monnayeurs.

Pour cela, la plupart des personnages assument tout à tour le rôle du narrateur : au cours d’un dialogue, ou par lettre, ils racontent à un tiers ce qu’ils savent de leurs proches. On pourrait ainsi classer les personnages selon leur mode de présentation : la présentation objective est réservée aux grotesques ; l’analyse et le monologue intérieur dotent de subjectivité les deux héros, Edouard et Bernard. L’avantage de la présentation indirecte, c’est qu’elle décrit autant celui qui parle que celui dont on parle, tout en laissant le lecteur faire lui-même le travail d’analyse. Par exemple : l’histoire de Laura et Vincent est d’abord raconté par Vincent au conte Passavant ou encore par Bernard a son ami Olivier.


La mise en abyme est ici d’autant plus forte.

 Le tiers du livre de Gide est constitué du journal d’Edouard. Celui –ci peut simplement réfracter les faits, mais il a aussi une autre fonction : grâce à lui, les théories littéraires d’Edouard deviennent l’un des sujets du livre, sinon, comme le prétendait Gide, le sujet principal. Au début, Edouard note ce qu’il voit dans son journal, et ses théories littéraires sur un carnet. Ensuite il écrit tout dans le même journal ; dès lors, il ne raconte plus les faits comme les autres personnages, il les met en forme en vue de les intégrer dans son roman.

Le roman de Gide et d’Edouard porte le même titre ; on pourrait en déduire qu’Edouard est la représentation de Gide, et que le roman de l’un est celui que l’autre essaie de faire ; ce serait une véritable « mise en abyme ». Il n’en n’est rien. Gide proteste quand les critiques voient en Edouard un autoportrait. Le livre qu’écrit Edouard, ce n’est pas les Faux-Monnayeurs puisque « ce pur roman, il ne parviendra jamais à l’écrire. ». Comme nous pouvons le voir dans les pages 375 à 376, Gide cherche à évincer Edouard de sa propre personne. Il le considère comme un raté.



L’œuvre nous offre donc une multiplicité de narrateurs.

Ainsi, dans certains dialogues, un narrateur masqué apparaît en donnant des indications scéniques concernant les gestes et le ton des personnages. Dans d’autres, les répliques alternent avec une analyse, souvent en style indirect, des pensées et des sentiments qui ont motivé la réplique. Dans les deux cas, le narrateur sert à révéler, dans l’instant, un décalage entre la pensée et la parole, entre l’être et l’apparence. Le monologue intérieur a une fonction différente. Gide reste plus près du monologue dramatique, libre mais structuré, que du discours intérieur plus obscur et plus informe. Seul Bernard, dans la première moitié du texte, se livre à un « dialogue intérieur » : Gide cherche à traduire ainsi la lutte d’un être qui se cherche, sa tendance à l’analyse et au dédoublement. Le monologue intérieur a donc ici un rôle exceptionnel ; il signifie la crise psychologique d’un personnage. La plupart du temps, Gide préfère le style indirect libre, à la troisième personne, parce qu’il permet une distanciation plus grande entre le narrateur et les personnages.

Néanmoins, Il arrive à Gide d’intervenir comme un personnage distinct, à la première personne, d’ignorer ce que font les personnages, de ne pas pouvoir en observer plusieurs à la fois, d’être obligé d’interpréter leur comportement : « quittons-les », « je ne sais trop où il dîna ce soir ». Ce procédé tend à créer une nouvelle illusion : les personnages semblent ainsi vivre d’une vie autonome et imprévisible. Que le narrateur s’identifie au lecteur, c’est encore plus manifeste lorsqu’il réagit affectivement à l’égard de ses personnages.

Pour conclure, la mise en abyme est un élément principal de l’œuvre de Gide. De cette façon le lecteur est comme accompagné par l’auteur qui le guide a travers différents moyens, que ce soit a travers diverses annotations ou encore par le biais d’un narrateur masqué.  


1 commentaire:

  1. C'est un excellent travail, bravo ! Il faudrait cependant donner davantage d'exemples dans votre seconde partie. Poursuivez ainsi !

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