samedi 18 mars 2017

Les Faux-Monnayeurs dans Les Faux-Monnayeurs.

La mise en abîme dans les Faux Monnayeurs.



Associé à André Gide et au Nouveau Roman, qui l’a popularisé, le terme « mise en abyme » est volontiers utilisé aujourd’hui pour désigner indifféremment toute modalité autoréflexive d’un texte ou d’une représentation figurée. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un roman, la mise en abyme est le fait de placer dans un texte des éléments qui renvoient à ce même texte. Ce procédé est parfaitement présenté dans Les Faux-monnayeurs d’André Gide. La complexité de sa composition ainsi que la subtilité de sa construction en abyme en font une œuvre exigeante qui pousse sans cesse le lecteur à réfléchir. En quoi peut-on parler de mise en abyme dans Les Faux-monnayeurs ? Afin de répondre à cette question, nous analyserons d'abord les différents mises en abyme présentent dans l'oeuvre. Ensuite, on identifiera les fonctions de ce procédé dans l'oeuvre de Gide. 


Pour sauver Les Faux-monnayeurs à la fois du réalisme obtus et de l'inutilité esthétique, Gide recourt au procédé de la mise en abyme. On assiste à l’écriture du roman, au sein du roman. En effet, l'un des personnages de l'oeuvre, Edouard, écrit un roman qui doit lui-même s'intituler Les Faux-monnayeurs. Il s’agit donc d’un écrivain racontant l’histoire d’un écrivain qui écrit lui-même un roman. De plus, cet écrivain tien lui-même un journal comme André Gide. On peut donc croire qu’Edouard est la réflexion d’André Gide en raison des points communs entre le personnage et l’auteur. En effet, Edouard comme Gide critique les romans réalistes et, est en quête du roman pur. De plus, on a l’impression que le roman d’André Gide est celui qu’Edouard essaie de faire. Cependant, contrairement à André Gide, Edouard ne finira jamais son livre, «  ce pur roman, il ne parviendra jamais à l’écrire » nous dit Gide dans le Journal des Faux-monnayeurs. Le fait de mettre en scène un personnage romancier qui essaie d’écrire un livre également intitulé Les Faux Monnayeurs est une mise en abyme au sens restreint. 
Ensuite, on remarque que le journal d’Edouard est une mise en abyme dans un sens plus large. En effet, le tiers du livre de Gide est constitué du journal d’Edouard, qui prend parfois le relais de la narration. C’est grâce au Journal d’Édouard que souvent le lecteur prend connaissance de certains événements qui se sont passés pendant qu’il avançait dans sa lecture. C’est ainsi par exemple qu’on apprend le retour de Bernard dans le foyer familial. Cette mise en abyme permet à André Gide de placer dans la bouche de son personnage ses réflexions littéraires, son ambition créatrice, expliquant à son lecteur la démarche de son écriture. De plus Edouard représente également le rapport de l’auteur à l’acte même d’écrire et les difficultés que l’auteur rencontre. Le lecteur rentre ainsi dans l’atelier de l’écrivain. Le journal d’Edouard nous apparaît donc  comme l’a dit Lauren « un brouillon qui nous permet de mieux nous orienter par rapport à l’histoire dans l’histoire » (voir l’article de Lauren). 
Par ailleurs, toujours dans un sens plus large, on remarque qu’il y a plusieurs points de vue sur l’action dans Les Faux-monnayeurs. Gide aborde dans son œuvre, la lutte entre l’apparence et la réalité. Voilà pourquoi la plupart des personnages d’André Gide prennent le rôle de narrateur chacun à leur tour surtout à travers les dialogues et les lettres qui font également avancer le récit. On a donc à faire à une présentation indirecte qui apporte des informations sur les personnages et laisse au lecteur le travail d’analyse : « Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l’auteur, mais plutôt exposés par ceux des acteurs » nous dit Gide dans le Journal des Faux-monnayeurs. C’est ainsi qu’on apprend l’aventure amoureuse de Laura et Vincent par Lilian à Passavant. Ces nombreux narrateurs révèlent donc le décalage entre la réalité et l’apparence, qui sont d’ailleurs deux grands thèmes du roman. 


André Gide utilise le procédé de mise en abyme pour plusieurs raisons. Tout d'abord, Il souhaite rompre avec le roman traditionnel. La mise en abyme fait partit des procédés narratifs novateurs mis en place par lui-même pour rompre avec le roman traditionnel : bousculer les habitudes de lecture. Il introduit dans l'œuvre la théorie critique du roman : « user de ce jeu de miroirs qui reflètent et multiplient à l'infini les sens du livre, donnant aux personnages et leur histoire une sorte de profondeur métaphysique. » Les Faux-monnayeurs est une œuvre exigeante qui interroge sans cesse le genre romanesque. Il peut être lus à la fois comme un roman et comme un traité sur le roman. Le procédé offre donc une réflexion sur le processus créateur de l’œuvre, et le lecteur prend également par à ce processus créateur de l’œuvre qu’il est en train de lire. La mise en abyme permet ainsi à l’auteur de porter un regard critique sur son écriture. A travers ce procédé, André Gide partage ses réflexions sur l’art du roman, il les met à distance et les questionne. On peut donc dire que c’est un procédé de questionnement. Gide qualifie la mise en abyme comme une « rétroaction du sujet sur lui-même ». Elle lui permet de prendre une certaine distance avec ce qu’il crée.
Ensuite, ce procédé va un peu plus loin. C’est également une façon de donner de l’esthétique à son œuvre. La mise en abyme rappelle au lecteur qu’il a à faire à une œuvre d’art est non à une réflexion de la réalité, elle crée donc une distance entre ces deux aspects. On peut donc dire que le lecteur est en quelque sorte accompagné par l’auteur. Ce procédé permet de donner à voir au lecteur tout en dissimulant. La mise en abyme peut donc être vue comme une correspondance en le lecteur et l’auteur. 

En somme, dans Les Faux-monnayeurs, nous avons à faire à un roman dans un roman et donc à une parfaite mise en abyme. Ce procédé est présenté tout d’abord au sens large avec le journal d’Edouard et le rôle de narrateur des autres personnages. Puis, au sens restreint avec Edouard qui écrit un roman qui s’appelle également les Faux-monnayeurs. Gide crée donc à la fois une fiction et un discours sur la création de cette fiction. Il offre une critique sur le genre romanesque et sur son travail à travail la mise en abyme, et favorise ainsi le côté esthétique de son œuvre. Comme l’a dit Jean Ricardou, Les Faux-monnayeurs n’est pas « l’écriture d’une aventure mais l’aventure d’une écriture ».

BUTARE Ornella.

1 commentaire:

  1. C'est un excellent travail. Bravo ! Il faudrait simplement ajouter davantage d'exemples pour la 2ème partie.

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