jeudi 29 septembre 2016

L'histoire de la vie d'Oedipe est celle de sa mort.

    Condamné, avant même de naître, Oedipe est destiné à mourir. Si le film de Pier Paolo Pasolini était une mélodie, ce serait 8 '37 de Penderecki parce que c'est une thrène, un chant de deuil en l'honneur d'un mort dans la Grèce Antique, et que l'histoire d'Oedipe est celle de sa mort. En effet, Oedipe née maudit. Son père vient le chercher dans son berceau avec l'intention de lui reprendre ce qu'il lui a offert : la vie. L'histoire d'Oedipe est celle de l'homme qui ne peut échapper à sa destinée, où chaque obstacle qu'il surmonte l'approche inexorablement de sa mort. 8'37 est une thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima. Celle-ci réunit une cinquantaine d'instruments à corde qui s'unissent afin de reproduire l'atmosphère d’Hiroshima lors du bombardement atomique, avant qu'il n'y ait plus rien, plus rien d'autre qu'un silence glaçant. Selon moi, ces 8'37 peuvent raconter à leur façon le film de Pier Paolo Pasolini. En effet, le réalisateur italien raconte l'histoire d'Oedipe, or celle-ci est baignée dans le crime qui tient ses racines du rapt et du viol de Chrysippe par Laïos. Ainsi, la vie maudite d'Oedipe est intimement liée à la mort, elle est tragique à chaque instant et à chaque inspiration qu’Oedipe n’aurait pas du avoir.
 

       Dès les premières secondes de la thrène un son strident se fait entendre secondé par d’autres qui se superposent et s’intensifient. C’est le premier cri d’Oedipe, celui de sa naissance dans l’Italie des années 20 de Pasolini, celui qui continuera même lorsqu’Oedipe se taira. Ce cri déchirant est insupportable comme l’est aussi aux yeux du monde l’existence d’Oedipe. Il marque la naissance d’un enfant qui est malgré lui déjà un monstre, il marque la naissance de la tragédie d’Oedipe.
Au bout de 2‘13 environ, des sons de caisses sont martelés et se mélangent; ce sont les hantises d’Oedipe, le cauchemar qu’il fait avant de partir pour Delphes, son destin qui le rattrape et qui se hisse devant lui lorsque la Pythie répète: «Tu tueras ton père et tu feras l’amour à ta mère!». Puis un autre son strident, cri de désespoir, retentit en réponse à l’annonce de l’oracle. La tension grandissante et grondante exprime la colère des dieux et s’allie à des sons dissonants et agressifs. Ces sons qu’on ne veut pas entendre (refoulement) harcèlent Oedipe, le tourmentent. Ces cris qui appellent au meurtre sont peut-être des cris du désert cuisant ou ses propres cris de bête. 

       Oedipe est animal et démesure quand il tue tous les hommes de Laïos puis son propre père, sourire aux lèvres, alors que celui-ci lui exige de laisser passer son véhicule. Il suit le chemin de l’extrême: c’est l’hybris grec. L’hybris est un sentiment violent inspiré des passions, particulièrement l’orgueil (déf. de l’encylopédie libre wiki.). Cette «arrogance funeste» est la cause de la mort de ces hommes et tous ceux qui mourront plus tard de la peste. «La haine est sur Thèbes comme un affreux soleil. Depuis la mort de la Sphinge la ville ignoble est sans secrets : tout y vient au jour. (…) les chambres ne sont plus des puits d'obscurité, des magasins de fraîcheur. (…) Tant de sécheresse appelle le sang. La haine infecte les âmes » Cet extrait de Feux de Marguerite Yourcenar explique  que c’est le crime qui est à l’origine des ravages de la peste. Incestueux ou parricide, le crime d’Oedipe, son impudeur face à sa mère, sont inconcevables et insupportables à l’homme comme l’est cette thrène aux victimes d’Hiroshima. Même lorsque les bruits (pouvons nous parler de mélodie?) de 8‘37 semblent se calmer, on se rend compte qu’ils sont juste étouffés et s’accompagnent du son alarmant d'une sirène, comme l’arrière son d’un rêve cauchemardesque. On parle de cauchemar car devoir concevoir ces crimes (crime d’Oedipe et crime contre l’humanité) comme des terribles réalités nous est fortement désagréable. Or, justement 8'37 cherche à nous déranger.

       Enfin, tous les instruments s’unissent dans un cri commun qui n’aura de cesse jusqu’à la fin de l’histoire de la mort d’Oedipe. Lorsque Oedipe se crève les yeux le bruit s’éteint, c’est bien la fin de l’histoire de sa mort. En effet, il n’est plus question de mort une fois qu’Oedipe devient aveugle, la désharmonie de sa vie se transforme en harmonie. Les cris, la tension, les violences extrêmes laissent place au silence et c’est dans ce silence qu’Oedipe devient aède, c’est dans ce silence qu’il renaît. Oedipe qui ne regrettera pas de ne pas s’être percé les tympans, glissera dans la paix de ce silence ses nouvelles notes.  


-N.Mahé-

1 commentaire:

  1. C'est une excellente analyse Nolwenn, bravo !!! A retenir pour une mise en scène théâtrale !

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