Le thème du pouvoir chez Sophocle et Pasolini

“Le pouvoir apparait comme l’un des enjeux essentiels de la plupart des tragédies grecques qui nous ont été conservées. Les rois occupent souvent le premier rôle” disait Michel Fatzoff dans les cahiers de la villa Kérylos . 

“Tout pouvoir sans contrôle rend fou.” rajoutait Alain, philosophe français. 

En tant que grand dramaturge grec lui même, Sophocle donne une grande importance au pouvoir dans sa pièce, tout comme Pasolini, qui lui donne un role prépondérant tout au long de l’histoire qu'il a ré adaptée.

Quelle image du pouvoir la pièce de Sophocle et le film de Pasolini donnent-ils ?

Tout d’abord, c’est à un un pouvoir qui place ses détenteurs au coeur de la tragédie auquel nous avons affaire.

En effet, tout d’abord élément très important, le titre du livre de Sophocle comme du film de Pasolini n’est il pas “Oedipe roi” ? Cela donne d’emblée au spectateur, sans même connaitre tout le mythe originel de Sophocle, même sans avoir vu le film, une idée du rôle du personnage principal dans l’oeuvre lue/visionnée. Le spectateur ou le lecteur qui se sont supposément renseignés sur le résumé de ces œuvres savent qu’elles racontent l'histoire d'une tragédie, et associent donc directement le personnage principal à la mort inévitable. Le titre du film de Pasolini, “Oedipe roi” ne pourrait il pas être pris dans le sens qu’Oedipe est “roi” de sa propre tragédie ? De plus, dans le mythe comme dans le film, Oedipe semble prédestiné au pouvoir : ses parents adoptifs, Polype et Mérope sont rois et reines, tout comme l’étaient ses parents biologiques Laïos et Jocaste. Ce dernier a donc vécu en portant le titre de prince, et va devenir roi lorsqu’il vaincra le Sphinx, en se mariant à sa mère qu’il ignore être sa mère. Jocaste, qui dans le film et dans le livre a été reine à tour de rôle avec le père d’Oedipe ET Oedipe, est placée elle aussi au centre de la tragédie en tant que femme du roi.

Cela permet donc de les disposer tous deux sur un piédestal, à la lumière comme pour que le spectateur suive mieux leurs faits et gestes (d’ailleurs, la caméra à plusieurs reprises filme comme d’un point de vue de quelqu’un pratiquant le voyeurisme : lorsqu’Oedipe nait en filmant l’accouchement par la fenêtre, lorsque Jocaste et œdipe font l’amour en filmant d’un angle particulier, ect..). 

Dans un second temps, nous pourrions dire que le pouvoir présent dans cette pièce est avant tout un pouvoir destructeur. 

En effet, pour commencer, nous savons que si Oedipe n’avait pas vaincu le Sphinx dans le livre comme dans le film, son destin n’aurait pas eu lieu : c’est cette victoire qui va le faire accéder au trône. Son accès au pouvoir va au final l’anéantir, car il va se marier sans le savoir avec la reine Jocaste, sa mère. Nous pourrions donc dire que dans livre, c’est son intelligence qui l’anéantit car c’est grâce à elle qu’il délivre la ville du sphinx, et dans film ce serait plutôt sa force, car là il ne prend même pas le temps de résoudre l’énigme, il tue le sphinx sans poser de question, sans vouloir savoir comme il le dit lui même.

Jocaste elle aussi, qui partage le pouvoir depuis qu’elle est mariée à Laois va finir par en mourir : apprenant qu’elle s’est mariée, a couché et a eu des enfants avec avec son fils le nouveau roi avec qui elle s’est remariée, elle va au final se suicider.

De plus, comme le dit la citation d’Alain, “tout pouvoir sans contrôle rend fou”. Oedipe, qui ne contrôle pas son pouvoir car il ne sait pas qui il est réellement et ce qu’il fait (coucher avec sa mère), finit par se crever les yeux pour ne “plus voir la vérité qu’il n’aurait jamais du voir”, de même pour Jocaste qui finit par se pendre en apprenant cette insoutenable même vérité.  

Ces deux actes de suicide et d’auto mutilation reflètent donc la violence à laquelle va finalement conduire le pouvoir des deux protagonistes. Pouvoir, bonne ou mauvaise chose ?  

Seulement, le livre comme le film reflètent un pouvoir qu’au final les personnages principaux ne détiennent en réalité pas.

En effet, Oedipe essaye de lutter contre le temps : il dit vouloir élucider le mystère de ce dernier dans la pièce, mais il n’en est pourtant pas maitre car c’est une force qui le dépasse. Dans le film également, ce dernier veut venir à bout du temps, élucider l’enquête de sa vie, seulement la vérité viendra à temps, quand il en sera l’heure et aucune des actions des protagonistes n’a le pouvoir d’accélérer ce temps ou de le ralentir : Jocaste quant à elle dans le film essaye comme de retarder le moment où on apprendra la vérité en rassurant Oedipe (“quel homme n’a pas un jour rêvé de faire l’amour à sa mère ?”) et en essayant de l’éloigner de cette idée. Seulement, le moment de la vérité va quand même arriver, et elle sera découverte au grand jour, que les deux protagonistes le veuillent ou non. Un autre élément important, est qu’Oedipe pense avoir vaincu le sphinx par son intelligence (dans le livre) ou sa force (dans le film). Pourtant il y était prédestiné, et son destin s’accomplira, car c’est bien le but d’une tragédie : la malédiction jetée sur sa famille depuis bien longtemps avant sa naissance est plus puissante que lui, et quoi qu’il fasse son destin le rattrapera. Au final, le pouvoir dans cette tragédie est un pouvoir que seul les dieux détiennent : cela reste une tragédie, dont l’essence est le rapport avec le divin. Le destin d’Oedipe est donc décidé par les dieux uniquement, selon les croyances grecques de l'époque. Les personnages n’ont donc aucun pouvoir dans cette tragédie.

En conclusion, le pouvoir dans cette pièce est un pouvoir qui place les personnages principaux au centre de cette tragédie, c’est également un pouvoir qui finit par les anéantir car ils ne le détiennent finalement, lorsqu’on s’approche de plus près, pas. C’est une force qui en réalité les dépasse.