« Le
temps seul est capable de montrer l’honnête homme, tandis qu’il suffit d’un
jour pour dévoiler un félon » - Œdipe Roi de Sophocle… Telle est la citation qui résume au mieux
la fin tragique d’Œdipe Roi de Sophocle. Le temps seul a permis à Œdipe de se
créer une sagesse, errant sur les routes ne menant à nulle part, aveugle ;
après avoir commis l’irréparable : l’inceste de sa vie. Le temps est une
chose bien précise et pourtant si étendue ; il tient une place primordiale
dans le mythe d’Œdipe et est un facteur de son destin.
Ainsi,
comment le temps joue-t-il un rôle dans la destinée d’Œdipe ? Et en quoi
peut-il être considéré comme le véritable acteur de la tragédie ?
Tout
d’abord, le temps peut se définir d’une première façon : il s’agit du
temps des secondes, minutes et heures qui s’écoulent ; le passé, présent
et futur. Dans le théâtre antique, il fallait répondre à la règle des trois
unités dont le temps faisait partie. L’unité de temps (elle resserre les faits
à vingt-quatre heures et cherche à entretenir l'illusion d'une coïncidence
entre la durée de la fiction et le temps de la représentation) est très
importante chez Sophocle : Œdipe Roi se déroule uniquement en vingt-quatre
heures comme l’exige la règle.
Cela
permet un certain parallèle avec le spectateur qui suit toute l’histoire d’un
trait, du début à la fin. Ce rapport de temps raccourci, accorde alors une
abréviation du temps réel comme est supposé durer l’histoire de la pièce et
ainsi accélérer l’annonce du destin d’Œdipe et l’arrivée du dénouement
tragique.
Le
temps est de plus, explicitement évoqué dans la pièce : « Et même le
jour où nous sommes, quand je le rapproche du temps écoulé, n’est pas sans
m’inquiéter » ; « La durée de son absence dépasse le délai
normal beaucoup plus qu’il n’est naturel » p.13. Ici, nous avons l’impression
que le temps fuit, qu’il file lorsque les habitants de Thèbes sont face à leur
destin, c’est-à-dire à la mort qui frappe la ville par la peste. Mais plus
encore, c’est le destin même d’Œdipe qui est frappé par cette mort : « Vous
souffrez tous, je le sais ; mais quelque soit votre souffrance, il n’est
pas un de vous qui souffre autant que moi » et « Mon cœur à moi gémit
sur Thèbes, et sur toi, et sur moi tout ensemble ». On a alors
l’impression qu’il connaît sa souffrance et la ressent déjà.
Le
cadre temporel est également repris chez Pasolini. Il est présent sous la forme
musicale : il est question d’airs militaires ou classiques. Ils permettent
de maintenir un certain rythme tout au long du film ; de marquer une
cassure entre les moments très lents et étirés, et entre les scènes musicales.
La
flûte qui apparaît à différents moments dans le film joue un rôle important :
elle marque la tragédie et le destin d’Œdipe. Elle est présente dans la partie
du mythe lorsqu’après un rêve angoissant (celui de son destin) Œdipe quitte ses
parents pour aller à Delphes et consulter l’oracle (à la 18ème
minute). Elle apparaît également à la fin du film lorsqu’Œdipe, aveugle,
retourne dans la ville de son enfance aux temps modernes. Il marche sur des routes
inconnues, accompagné du Messager, une flûte à la main.
Ayant
traversé les siècles, (de l’Antiquité à la modernité) la flûte est donc un
objet intemporel puisqu’elle permet de voyager à travers le temps.
Ensuite,
le temps peut se définir d’une seconde manière. Il joue un rôle primordial dans
la destinée d’Œdipe puisqu’il prédit son avenir. Le temps existe à travers le
rôle des voyants, présents dans la pièce de Sophocle et dans le film de
Pasolini. Chez les deux œuvres, Œdipe se rend à Delphes pour consulter la
Pythie ; elle lui prédira son avenir. Or, ce futur qui est à l’avance
annoncé, n’est autre que son destin : tuer son père et coucher avec sa
mère. A travers le rôle de l’oracle, le temps joue alors sur les actions du
personnage et amorce sa dimension tragique.
Enfin,
on peut définir le temps sous la forme climatique, comme la météo. Le temps
joue ici, également un rôle dans la destinée d’Œdipe en étant un facteur
provocateur, inquisiteur ; de telle sorte qu’il sera propice à tuer… On
pourrait faire le rapprochement avec l’Etranger de Camus où l’environnement
influence les faits et gestes du personnage.
Pour
exemple, lorsqu’Œdipe se retrouve à errer sur les chemins, ne sachant où aller
après la consultation de l’oracle. Il rencontre alors sur la route le roi Laïos
et son convoi. Avec la chaleur et la longue route qu’il a faite, Œdipe passe à
l’action et tue tous les gardes du roi et lui-même. À ce moment de l’histoire,
Œdipe ne sait pas qu’il vient de commettre un acte fatal : il a tué son
père. Ainsi, l’écrasante chaleur, la fatigue du chemin et le désespoir dans
lequel vient de tomber Œdipe sont des éléments qui le poussent à tuer et à le
faire tomber dans sa propre fatalité.
Pour
conclure, à travers ces différents définitions du temps, nous voyons qu’il est
très présent dans la pièce et dans le film ; il est même indispensable. À
travers les trois facteurs évoqués (le temps quantitatif, le temps prédicateur
et le temps météorologique), il s’impose en tant que réel acteur et déclenche
lui-même la tragédie.
Lauren A.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire