Dans
la pièce de théâtre de Sophocle ou dans le film de Pier Paolo
Pasolini, le temps joue un rôle important dans la destinée
d'Oedipe. En effet, les dés ont déjà été lancés, il n'est plus
qu'une question de temps pour que le destin d'Oedipe s'accomplisse.
Alors qu'Oedipe est condamné, il ne manque plus qu'au temps d'agir.
Nous pouvons nous interroger sur le rôle que joue le temps dans les
deux œuvres étudiées en classe et chercher à comprendre en quoi
le temps peut être considéré comme un véritable acteur tragique.
Dans l'Oedipe Roi de
Sophocle, les évènements se succédent de manière linéaire
bienqu'il ait quelques analepses dans certains dialogues ou récits
qui informent sur les évènements passées. Par exemple, de la page
51 à 53, le berger Corinthien s'entretient avec le serviteur de
Laïos et nous raconte ainsi le sort d'Oedipe en tant que bébé
abandonné dans les montagnes, ou encore le messager nous rapporte
dans l'exodos le suicide de Jocaste. A ces analepses s'ajoutent des
ellipses de temps qui se situent souvent à chaque fin d'épisode.
Celles-ci marquent les étapes constitutives de l'histoire en cinq
mouvements. Ces ellipses correspondent la plupart du temps à des
attentes qui ne sont pas toutes représentées : attente de
Créon dans le prologue, attente de Tiresias, attente d'Oedipe par
Créon et le Coryphée avant qu'ils se confrontent et attente du
berger pour savoir nottamment la vérité sur le meurtre de Laïos.
Après chaque attente elliptique, on peut dire que l'histoire
progresse.
Pareillement, dans le
film de Pier Paolo Pasolini, les évènemetns se succèdent de
manière linéaire même si l'on peut voir, dans le parcours
d'Oedipe, par son retour au pré, l'éternel recommencement de la
tragédie. Cependant cette dimension cyclique est plus une invitation
aux réecritures, pour que d'autres s'aventurent dans le chemin
d'Oedipe qu'un indice sur l'ordre des évènements.
Si la totalité de
l'action respecte la règles des trois unités dans la pièce de
Sophocle, on ne peut pas en dire autant pour le film du réalisateur
italien. En effet, chez Sophocle, l'enquête sur l'assassin de Laïos
se fait en une seule journée alors que Pasolini ne se limite pas à
raconter ce seul événement. Il illustre en effet les événements
qui précèdent l'enquête sur l'assassin de Laïos là où Sophocle
commence par les ravages de la peste. On ne peut pas dire que
l'histoire d'Oedipe racontée par Pasolini se déroule en une seule
journée car les enfants d'Oedipe sont cités. En effet, il est
clairement impossible qu'ils aient été conçus et nés en un même
jour. Le temps dans ces deux pièces est linéaire même si Sophocle
a recours à certains procédés -afin de respecter la règle des
trois unités- pour ajouter des informations complémentaires à
l'histoire d'Oedipe et de Thèbes.
Pasolini change de
temps dans son prologue et dans son épilogue. Cela lui permet de
mettre e perspective le mythe de Sophocle à qui il donne un nouveau
souffle pasolinien en y melant sa vie (italie de son enfance dans le
prologue et l'italie des années soixante dans l'épilogue) et lui
ajoute une dimension freudienne. Ce faisant, il accorde un rôle
utilitaire au temps comme le fait Sophocle avec ses ellipses. En
effet, Sophocle fait des fractures dans le temps pour rapporter
l'essentiel de l'action dans sa pièce. Pasolini, quant à lui,
semble en plus manipuler le temps pour jouer avec les spectateurs qui
se voient devoir supporter des images de cadavres pestiférés et
pourrisant à même le sol ou encore subir la longue errance d'Oedipe
dans des routes quasi-désertiques (environ 5 minutes).
Pasolini, en faisant
des séquences relativement longues où rien n'est dit, ralentit le
rythme de l'histoire. Le réalisateur décide de dédier beaucoup de
temps à l'errance d'Oedipe qui s'abandonne au hasard après que la
Pythie lui ait annoncé son destin, alors que cela n'est pas une
étape cruciale dans le mythe d'Oedipe. Alors que Sophocle se borne à
écrire l'essentiel, Pasolini rallonge le mythe et s'attarde sur des
évènements secondaires. Ce jeu de ralentissement s'allie au thème
du destin qui se répète de multiples fois paticipant à créer un
effet de longuer. Ainsi, le spectateur perçoit le périple d'Oedipe
comme étant très long.
Le temps se présente
comme un acteur tragique aussi bien pour Sophocle que pour Pasolini.
A la différence de Sophocle qui doit s'en tenir à la construction
classique du théâtre grec qui influence assez considérablement le
déroulement des événements, Pasolini a la liberté de la forme.
Grâce à cette liberté il peut selon sa volonté jouer davantage
sur le temps et retarder ou rapprocher à sa guise l'accomplissement
de la destinée d'Oedipe. Le temps se revèle un véritable acteur
tragique car il semble pouvoir suspendre l'accomplissement de
certains épisodes, en raccourcir ou en rallonger d'autres. Dans la
pièce de Sophocle le temps rythme par des attentes ellyptiques
l'avancée de l'histoire. Chaque attente est recompensée par une
information suppplémentaire, un élément important, des révélations
faites par l'arrivée d'un personnage etc.
Jean
Louis Bory, écrivain, journaliste, critique de cinéma et scénariste
français, dans un article intitulé
« Oedipe Roi par Pier Paolo Pasolini » paru dans le
Nouvel Observateur,
écrit : « L'innocence de l'homme, coupable et
condamné dans le secret des dieux, tel est le ressort de ce que
Cocteau appelait la Machine Infernale. Bombe à retardement,
qui dans le ventre, pour déclencheur, cette horlogerie infaillible
qui s'appelle le Temps. Cette machine, les dieux l'ont manigancée
(…). ». En clair, l'oracle annoncé, le déroulement des
évènements aboutissant à la tragédie finale n'est plus qu'une
question de temps. Oedipe, né coupabe, porte en son ventre une bombe
à retardement : c'est l'histoire de la tragédie. Le temps seul
sépare Oedipe de sa destinée ou le rapproche en s'écoulant. Dans
cette mesure, il est le véritable acteur tragique, la seule
dimmension qui compte véritablement dans la destinée d'Oedipe.
L'hasard n'est qu'illusion , l'espoir est inutile. Comme l'écrit
Jean Anouilh dans Antigone, la tragédie est en quelque sorte
reposante parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir et qu'il faut
juste attendre le drame final.
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