jeudi 6 octobre 2016

Une bombe à retardement.

Dans la pièce de théâtre de Sophocle ou dans le film de Pier Paolo Pasolini, le temps joue un rôle important dans la destinée d'Oedipe. En effet, les dés ont déjà été lancés, il n'est plus qu'une question de temps pour que le destin d'Oedipe s'accomplisse. Alors qu'Oedipe est condamné, il ne manque plus qu'au temps d'agir. Nous pouvons nous interroger sur le rôle que joue le temps dans les deux œuvres étudiées en classe et chercher à comprendre en quoi le temps peut être considéré comme un véritable acteur tragique.

Dans l'Oedipe Roi de Sophocle, les évènements se succédent de manière linéaire bienqu'il ait quelques analepses dans certains dialogues ou récits qui informent sur les évènements passées. Par exemple, de la page 51 à 53, le berger Corinthien s'entretient avec le serviteur de Laïos et nous raconte ainsi le sort d'Oedipe en tant que bébé abandonné dans les montagnes, ou encore le messager nous rapporte dans l'exodos le suicide de Jocaste. A ces analepses s'ajoutent des ellipses de temps qui se situent souvent à chaque fin d'épisode. Celles-ci marquent les étapes constitutives de l'histoire en cinq mouvements. Ces ellipses correspondent la plupart du temps à des attentes qui ne sont pas toutes représentées : attente de Créon dans le prologue, attente de Tiresias, attente d'Oedipe par Créon et le Coryphée avant qu'ils se confrontent et attente du berger pour savoir nottamment la vérité sur le meurtre de Laïos. Après chaque attente elliptique, on peut dire que l'histoire progresse.
Pareillement, dans le film de Pier Paolo Pasolini, les évènemetns se succèdent de manière linéaire même si l'on peut voir, dans le parcours d'Oedipe, par son retour au pré, l'éternel recommencement de la tragédie. Cependant cette dimension cyclique est plus une invitation aux réecritures, pour que d'autres s'aventurent dans le chemin d'Oedipe qu'un indice sur l'ordre des évènements.
Si la totalité de l'action respecte la règles des trois unités dans la pièce de Sophocle, on ne peut pas en dire autant pour le film du réalisateur italien. En effet, chez Sophocle, l'enquête sur l'assassin de Laïos se fait en une seule journée alors que Pasolini ne se limite pas à raconter ce seul événement. Il illustre en effet les événements qui précèdent l'enquête sur l'assassin de Laïos là où Sophocle commence par les ravages de la peste. On ne peut pas dire que l'histoire d'Oedipe racontée par Pasolini se déroule en une seule journée car les enfants d'Oedipe sont cités. En effet, il est clairement impossible qu'ils aient été conçus et nés en un même jour. Le temps dans ces deux pièces est linéaire même si Sophocle a recours à certains procédés -afin de respecter la règle des trois unités- pour ajouter des informations complémentaires à l'histoire d'Oedipe et de Thèbes.

Pasolini change de temps dans son prologue et dans son épilogue. Cela lui permet de mettre e perspective le mythe de Sophocle à qui il donne un nouveau souffle pasolinien en y melant sa vie (italie de son enfance dans le prologue et l'italie des années soixante dans l'épilogue) et lui ajoute une dimension freudienne. Ce faisant, il accorde un rôle utilitaire au temps comme le fait Sophocle avec ses ellipses. En effet, Sophocle fait des fractures dans le temps pour rapporter l'essentiel de l'action dans sa pièce. Pasolini, quant à lui, semble en plus manipuler le temps pour jouer avec les spectateurs qui se voient devoir supporter des images de cadavres pestiférés et pourrisant à même le sol ou encore subir la longue errance d'Oedipe dans des routes quasi-désertiques (environ 5 minutes).
Pasolini, en faisant des séquences relativement longues où rien n'est dit, ralentit le rythme de l'histoire. Le réalisateur décide de dédier beaucoup de temps à l'errance d'Oedipe qui s'abandonne au hasard après que la Pythie lui ait annoncé son destin, alors que cela n'est pas une étape cruciale dans le mythe d'Oedipe. Alors que Sophocle se borne à écrire l'essentiel, Pasolini rallonge le mythe et s'attarde sur des évènements secondaires. Ce jeu de ralentissement s'allie au thème du destin qui se répète de multiples fois paticipant à créer un effet de longuer. Ainsi, le spectateur perçoit le périple d'Oedipe comme étant très long.
Le temps se présente comme un acteur tragique aussi bien pour Sophocle que pour Pasolini. A la différence de Sophocle qui doit s'en tenir à la construction classique du théâtre grec qui influence assez considérablement le déroulement des événements, Pasolini a la liberté de la forme. Grâce à cette liberté il peut selon sa volonté jouer davantage sur le temps et retarder ou rapprocher à sa guise l'accomplissement de la destinée d'Oedipe. Le temps se revèle un véritable acteur tragique car il semble pouvoir suspendre l'accomplissement de certains épisodes, en raccourcir ou en rallonger d'autres. Dans la pièce de Sophocle le temps rythme par des attentes ellyptiques l'avancée de l'histoire. Chaque attente est recompensée par une information suppplémentaire, un élément important, des révélations faites par l'arrivée d'un personnage etc.

Jean Louis Bory, écrivain, journaliste, critique de cinéma et scénariste français, dans un article intitulé « Oedipe Roi par Pier Paolo Pasolini » paru dans le Nouvel Observateur, écrit : « L'innocence de l'homme, coupable et condamné dans le secret des dieux, tel est le ressort de ce que Cocteau appelait la Machine Infernale. Bombe à retardement, qui dans le ventre, pour déclencheur, cette horlogerie infaillible qui s'appelle le Temps. Cette machine, les dieux l'ont manigancée (…). ». En clair, l'oracle annoncé, le déroulement des évènements aboutissant à la tragédie finale n'est plus qu'une question de temps. Oedipe, né coupabe, porte en son ventre une bombe à retardement : c'est l'histoire de la tragédie. Le temps seul sépare Oedipe de sa destinée ou le rapproche en s'écoulant. Dans cette mesure, il est le véritable acteur tragique, la seule dimmension qui compte véritablement dans la destinée d'Oedipe. L'hasard n'est qu'illusion , l'espoir est inutile. Comme l'écrit Jean Anouilh dans Antigone, la tragédie est en quelque sorte reposante parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir et qu'il faut juste attendre le drame final.

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