vendredi 14 avril 2017

Personnages à gogo

André Gide écrit son roman Les faux monnayeurs en 1925 et parallèlement publie son Journal des faux monnayeurs, journal où ce dernier met en ordre sa pensée quant à l’écriture de son livre. 
Ce roman, qualifié comme bijou de la littérature, est en effet un roman riche tout d’abord de part la profusion de personnages qu’il propose à son lecteur, profusion qui tout comme les autres éléments du livre propose un jeu de miroirs aveuglants. 
Il s’agira ici de se questionner sur l’apport de cette profusion de personnages au roman, ainsi que la justification qu’André Gide en donne dans son Journal. 
Tout d’abord nous montrerons que cette profusion de personnages permet au roman d’avancer, puis qu’elle permet aussi à son romancier d’écrire un livre aux contours érodés, et finalement nous montrerons que cette profusion est une sorte de thérapie pour André Gide comme pour son lecteur. 

En premier lieu, la pluralité de personnages présents dans ce roman permet au roman d’avancer.
En effet, tout d’abord ce roman, qui peut être rattachés à de nombreux styles différents (roman d’apprentissage, d’amour, de psychologie,…) est un roman qui eut également être considéré comme un roman d’aventure. Nous pouvons par exemple constater cette « aventure » lorsque Bernard quitte sa maison après avoir découvert sa batardise. Le lecteur, qui le suit de son départ jusqu’à son retour chez lui, suit par la même occasion son aventure au travers du livre, son processus de maturité. L’aventure, qui se caractérise par un besoin certain d’aller de l’avant peut  justement être rattachée à cette profession de personnages, qui eux permettent au livre de Gide d’avancer, d’aller de l’avant part les nombreuses histoires et points de vue différents que l’on retrouve dans le roman. Nous pourrions donc dire que finalement cette aventure est possible grâce aux personnages, qui font en effet avancer l’histoire grâce aux différents points de vus, journaux lettres mentionnés (par exemple le journal d’Edouard, les lettres entre Bernard et Olivier, les courtes correspondances de Passavant à Olivier, …).
Nous savons également qu’en philosophie, lorsqu’il s’agit d’l’intersubjectivité (c’est à dire ce qu’il y a de commun entre tous les sujets),  il faut pas un seul point de vue pour arriver à la vérité. Plusieurs points de vue sont nécessaires, et ce sont ces derniers qui une fois assemblés font la vérité commune. Cette profusion de personnage permet donc au roman d’avancer en menant son lecteur petit à petit vers la « vérité », au fur et à mesure des différents points de vue.
Finalement et si ces personnages avaient presque le « contrôle » du livre ? Gide paraît en effet vouloir se détacher, s’effacer de son propre roman pour permettre aux personnage de faire avancer le livre d’eux même. Ainsi ce dernier dit dans le Journal des faux monnayeurs : « C’est ainsi que toute l’histoire des faux-monnayeurs ne doit être découverte que petit à petit, à travers les conversations où du même coup les caractères se dessinent » ou encore : « Supprimer en soi le dialogue, c’est proprement arrêter le développement de la vie ». Ce dernier propose donc ici l’hypothèse qu’un bon roman ne contient aucune trace apparente de son auteur, que ce dernier ne doit se mettre en avant mais au contraire s’effacer face aux personnages de son propre roman. 

Puis, nous pourrions dire que cette profusion de personnages dans le roman permet à André Gide de se détacher de tous styles littéraires « conformes », de créer un roman qui comme il le dit lui même « sort de son ornière réaliste » en écrivant un livre aux « contours érodés ». 
En effet, tout d’abord comme nous l’avons vu, ce livre contient un nombre de personnages important, qui finalement perd le lecteur, qui a parfois du mal à suivre les différents points de vue (nous pouvons citer par exemple Vincent, Oliver, George, Sarah,  Laura, Armand, Douvier, Passavant, Edouard, Bernard, Boris, Bronja, Sophroniska, La Pérousse, et bien d’autres encore). Ainsi, le lecteur, dans sa lecture du roman se perd car nombreux sont les personnages et points de vue ou encore journaux et lettres, et intrigues sont nouvelles à chaque chapitre, ce qui a tendance à désorienter, créant ainsi une impression d’inachèvement, de mauvaise organisation quant à l’écriture du livre (qui est seulement une impression car le Journal des faux monnayeurs vient en effet prouver le contraire, en rassemblant toute la pensée de Gide au moment de l’écriture des Faux monnayeurs.
Et si ce roman était une valse ? nous pourrions dire que le roman peut être mis en parallèle avec une mélodie : dans le Journal des faux monnayeurs nous pouvons d’ailleurs constater il écrit d’ailleurs son livre et semble en parallèle composer de la musique (au piano). Et si le livre était comme une sorte de valse qui faisait perdre pied aux lecteurs désintéressés qui ne suivaient pas la mélodie ?
Nous pourrions donc dire que ce roman est riche : en plus de proposer de nombreux personnages (qui créent une illusion de concours érodés), le livre traite également un nombre important de sujets (comme par exemple Dieu, son existence, le thème du suicide, le thème des anges avec Bernard, Bronja qui est elle même un ange gardien, le démon, …). Le lecteur a donc grande part dans  la compréhension du livre : en effet, si ce dernier ne se penche pas de plus près sur tous les sujet philosophiques qui lui sont proposés ou les différents pistes de lecture, il ne peut comprendre où exactement sont les « contours » de ce livre, ses limites, qui sont déjà de nature floue. Le lecteur qui doit donc être réellement intéressé pour se plonger entièrement dans la lecture du livre, doit faire l’effort de remettre toutes les informations qui lui sont données en place, sinon rien n’a de sens. Finalement c’est le lecteur qui permet au roman de se construire.

Nous pourrions en dernier lieu nous demander si tous ces personnages n’étaient pas la thérapie de Gide ainsi que de ses lecteurs. 
André Gide dit en effet, dans la première page de son Journal des faux monnayeurs : « Aussi bien est-ce une folie sans doute de grouper dans un seul roman tout ce que me présente et m’enseigne la vie ». Dès le début de son journal, il annonce donc l’hypothèse suivante : son roman, qui regroupe plusieurs éléments inspirés de sa propre vie (L’affaire des faux monnayeurs anarchistes du 7 et 8 aout 1907 ainsi que l’histoire des suicides d’écoliers du 5 aout 1909) est en fait un moyen pour lui en alignant ses pensées sur papier, de se faire sa propre thérapie. Egalement, dans le livre, la profusion de thèmes traités - comme nous l’avons expliqué précédemment la mort avec le personnage de La Pérouse qui de part ses réflexions, pose questions philosophiques sur Dieu, son existence, le thème du suicide, ou encore le thème des anges avec Bernard qui les voit, Bronja qui est elle même un ange gardien, le démon, … - permet non seulement au lecteur de développer sa réflexion philosophique, mais également, tout comme André Gide, de subir une sorte de thérapie, dans le sens où « l’expérience » des personnages présents dans la roman, même fictive, lui permet à lui comme aux lecteurs de « gagner en maturité », d’apprendre des choses (tout comme Bernard grandit au fur et à mesure de son aventure). André Gide fait ainsi son « auto éducation ». 
L’auteur de construit donc tout comme le lecteur se construit. 


Finalement, pour conclure non pourrions dire que ce roman, riche en informations, permet, grâce à la profusion de personnages qu’il propose, permet à l’histoire du roman d’avancer, de créer un roman aux contours érodés qui échappe aux règles classiques de littérature, mais est également une thérapie pour André Gide comme pour son lecteur, qui joue une grande part de compréhension dans la lecture du roman. 

Finalement qui est le romancier ? Est-ce André Gide, le lecteur ou bien les personnages du roman ?

(CODE COULEUR : FM / JFM)

1 commentaire:

  1. C'est un excellent travail, méthodique, argumenté. Un raisonnement original (mention de la "valse", influence du portrait chinois). Attention aux quelques maladresses dans l'expression (la longueur des phrases notamment). Bravo ! Poursuivez ainsi !!!

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