samedi 15 avril 2017

Les personnages de Gide.

André Gide accorde une grande importance à ses personnages. Dans  son œuvre, Les Faux-monnayeurs,  il multiplie les personnages accompagnés de multiples points de vue narratifs et d’intrigues secondaires diverses, créant ainsi une structure romanesque complexe. Mais qu’apporte cette profusion de personnages et comment Gide la justifie t-il dans Le Journal des Faux-monnayeurs ?  Afin de répondre à cette question, nous verrons d’abord que la profusion des personnages permet à Gide d’étudier les relations entre les êtres. Ensuite, nous verrons que cette étude lui permet de formuler une critique sur la société. 

 La profusion des personnages permet à l’auteur de mener une étude sur les relations humaines.
Tout d’abord, ayant choisi de jeunes héros adolescents, à l'image de Bernard et Olivier, André Gide s'intéresse à la famille et aux difficultés de compréhension entre les générations. C’est ainsi que les figures parentales sont dénigrées et que la famille représente l'hypocrisie. Ce que met particulièrement en scène Gide, c'est l'impossibilité de communiquer entre les parents et les enfants. C’est d’ailleurs le point de départ de l’histoire, puisque c’est à cause du manque de communication que Bernard fuit la maison familiale, car ses parents lui avaient caché sa bâtardise. On observe également un affrontement entre les générations, et les différentes valeurs. Nous avons d’un côté la jeunesse, qui a soif de liberté et de découverte, et qui  est contrainte par les plus vieux à rentrer dans un moule qui ne lui convient pas. C’est notamment le cas avec le petit Boris. Ce dernier est forcé de quitté Saas-Fée pour Paris, et ce déménagement n’aura que des effets néfastes qui iront jusqu’à la mort.  André Gide dénonce donc toute forme d'éducation qui oppresse plus qu'elle n'aide à grandir. Il se place résolument du côté des jeunes gens et peint avec ironie les figures parentales.  Voilà pourquoi le roman commence avec un désaveu, celui du fils pour père. Profitendieu perd le respect de Bernard. Pour souligner toute la fausseté de cet homme qui croit être un modèle pour ses enfants, André Gide en fait un "faux père". En effet, il n'est pas le géniteur biologique de Bernard. De même pour les grands-pères. Dans le roman, ils peuvent essayer de se subtiliser à l'autorité paternelle absente. C'est le cas de deux personnages : Azaïs et La Pérouse. Ces deux personnages représentent pour Gide le naufrage de la vieillesse. Ils échouent dans leur tentative pour remplacer le père. Le pasteur Vedel n'est jamais présent quand il le devrait, La Pérouse est moqué par les élèves qui le surnomme "père Lapère". De plus, il n’arrive pas à se rapprocher de son petit fils. Ils sont donc coupés de la jeunesse et de la réalité, comme dépassés par la nouvelle génération.  Gide remet donc en question l’autorité parentale et ses méthodes, à travers les personnages.
         Par la suite, Gide va s’intéressé  à la confusion des sentiments qui empêche les hommes de parvenir à se comprendre et à s'aimer avec authenticité. En effet, les personnages cherchent la vérité et la liberté dans les relations amoureuses.  On remarque qu’ils  ont du mal à exprimer leurs sentiments et préfèrent se tourner autour plutôt que d'avouer la vérité. C’est le cas d’Olivier, qui  plutôt que d'avouer à Édouard qu'il l'aime, fuit avec Passavant en Corse alors qu'il souffre cruellement de cette situation. L'amour est également confus car les personnages sont en quête d'un idéal. Ils croient pouvoir trouver cet idéal dans des amitiés amoureuses. C'est ce que cherche Bernard avec Olivier, qui représente tout à la fois pour lui : l'ami, l'amoureux, et le modèle. Ainsi, André Gide insiste ici sur le pouvoir de l'imagination qui trouble les esprits et crée des images mensongères et trompeuses. Dès lors, les personnages se posent des questions sur la sincérité et se demandent si elle est possible. On peut prendre l’exemple de la lettre de Laura à Édouard dans la première partie du roman à Paris : « Vais-je oser vous avouer à vous ce qu'à Félix je ne puis dire ? [...] les lettres que je lui écris depuis quelque temps sont menteuses et celles que je reçois de lui ne parlent que de sa joie de me savoir mieux portante. »  Laura dit l'impossibilité pour elle d'être honnête et sincère avec son mari. On peut donc dire que la profusion de personnages permet à Gide d’observer les différents comportements des hommes. Dans Le Journal des Faux-monnayeurs il explique cela en disant que « Le mauvais romancier construit ses personnages ; il les dirige et les fait parler. Le vrai romancier les écoute et les regarde agir : il les entend parler es avant que de les connaitre, et c’est d’après ce qu’il leur entend dire qu’il comprend peu à eut qui ils sont ». Voilà pourquoi tout au long du roman le lecteur a l’impression que l’auteur découvre en même temps que lui ses personnages.  Il les rencontre au cours de son aventure de l’écriture.
Cette étude va ensuite permettre à Gide de critiquer la société dans laquelle il vit à travers ses personnages. 

Dans Les Faux-Monnayeurs, André Gide livre une vive critique de la société du XXe siècle.
 Il dénonce la fausseté et l'hypocrisie qui règnent. C'est la raison pour laquelle il a choisi le thème de la contrefaçon, que l'on retrouve dès le titre du roman. Tout d’abord, les héros des Faux-Monnayeurs, et particulièrement Bernard, sont en quête de pureté. Les valeurs bourgeoises des parents ne répondent pas au besoin d'authenticité des jeunes gens. Toutefois, ces derniers ne symbolisent pas forcément l'authenticité. André Gide met en scène Georges et ses compagnons qui sont pervers et n'hésitent pas à se lancer dans un trafic de fausse monnaie, des orgies ou à pousser au suicide le jeune Boris qui incarne l'innocence et la douceur. Des autres personnages adultes incarnent particulièrement la fausseté et le mensonge comme Passavant: qui est prêt à tout pour séduire le jeune Olivier. Même l'éducation est un mensonge, car la pension Vedel est avant tout une affaire commerciale. La famille est une tromperie. On le comprend avec la bâtardise de Bernard. Gide dénonce ainsi de nombreuses conventions sociales : « Les préjugés sont les pilotis de la civilisation », dit Édouard qui critique la société qui repose sur les préjugés, et donc sur les apparences et les idées fausses.
André Gide dénonce donc surtout une société où les normes empêchent l'Homme d'être libre. Tout d’abord il dénonce une société dans laquelle la femme est cantonnée à des rôles réducteurs et où elle est constamment sacrifiée. Voilà pourquoi Laura symbolise la condition de la femme dans la bourgeoisie chrétienne, madame La Pérouse est devenue paranoïaque, madame Vedel est devenue folle, Pauline est trompée et résignée. Lilian est tuée par Vincent, et Rachel, dont le prénom signifie "brebis" en hébreu, est constamment sacrifiée. André Gide rejette donc le modèle féminin traditionnel de son époque. On peut se demander si c’est pour cela qu’il favorise l’homosexualité dans son roman. Pour finir, l’auteur critique les institutions traditionnelles à travers ses personnages. Tout d’abord, nous avons  la justice qui n'est pas partiale, elle n'aide pas réellement. Molinier et Profitendieu souhaitent protéger leurs semblables. En effet, lorsque le scandale des orgies et de la fausse monnaie leur parvient, ils préfèrent fermer les yeux et ne pas « poursuivre » ou « compromettre » des « familles respectables ». Ensuite, l'institution religieuse est également vivement critiquée par André Gide. Il ne s'oppose pas à la foi, mais il dénonce le protestantisme rigide, le puritanisme qui finit par pervertir les personnages. C'est le cas dans la pension Vedel. Gide rejette tous les donneurs de leçons qui pensent mieux savoir que les autres. Il estime qu'il n'y a pas d'épanouissement possible dans la religion. Enfin, l'école et la façon dont les professeurs enseignent sont remises en cause. Dans la pension Vedel, la cruauté et la stupidité des élèves sont liées à leur éducation qui les pousse à ces agissements. L'attitude des jeunes gens est elle-même éloignée d'un idéal de savoir et d'intelligence. On peut prendre l’exemple du vieux La Pérouse qui n’arrive pas à s’affirmer face aux élèves et à imposer une discipline.  Ainsi André Gide se sert des personnages pour rejeter les conventions, la place accordée aux femmes, et également les institutions traditionnelles comme la religion, la justice et l'éducation. Dans Le Journal des Faux-monnayeurs, il explique cela : « Il m'est certainement plus aisé de faire parler un personnage, que de m'exprimer en mon nom propre.» Les personnages reflètent donc les pensées de l’auteur, voilà pourquoi ils sont importants.

En somme, on peut dire en premier lieu que la multitude de personnages a pour but de créer les intrigues et de faire avancer l’histoire. Mais si on va plus loin, on comprend que cette profusion de personnages permet surtout à Gide de mener une étude sur les relations humaines et formuler ainsi une critique des mœurs de la société de son époque. Ils observent ses personnages et les critiques pour remettre en question nos valeurs. Dans Le Journal des Faux-Monnayeurs, il dit qu’il  « n’écris que pour être relu », autrement dit, ils nous invitent à nous remettre en question à travers ses personnages.  

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